L’éclosion du bouton de rose

… La suite de mes notes sur Solénoïde

p. 386 : holon : se dit de ce qui est à la fois un tout et une partie…

26 juillet

p. 388 Toujours dans le chapitre 26.

J’étais prête à me dire qu’articulation mobile était un pléonasme, mais j’ai vérifié dans le dictionnaire, une articulation est le point de jointure entre deux éléments, et elle peut être mobile ou immobile…

p. 389

Personne n’a relevé que le bouton de fleur qui éclot, comme métaphore de l’ouverture alerte de la voûte, dans l’effrayante Morgue où la manifestation des Piquetistes conduit le narrateur ne peut pas être complété de la précision suivante : « filmé au ralenti ». Au contraire, le fameux bouton de rose que l’on voit éclore en quelques secondes dans les petites vidéos qui circulent partout, est diffusé en accéléré…

Il a beau faire 35° à l’ombre, mon esprit critique est bien en éveil et je suis très intolérante (comme on l’est aux poussières) à ces petits relâchements de la logique. Ce sont des choses qui ne passent pas en français, qui donnent l’impression d’avoir un caillou dans la chaussure.

27 juillet

p. 398

En français, diastème peut difficilement s’employer pour quelqu’un à qui il manque des dents. Le diasteme est un truc naturel ou acquis, mais ne décrit pas le trou laissé par une dent manquante.

Rendez-vous demain, même heure

Do not go gentle into that good night : hymne à l’humanité entière

…Je publie la suite de mes notes sur Solénoïde, après quelques jours de repos

25 juillet

Les pages de ces dernières heures sont un régal, avec la traduction de deux poèmes. Un qui appartient à l’auteur (je pense) et qui ne m’a pas posé de problème, et l’autre, signé Dylan Thomas, un poète que je découvre. 

Je copie ici l’original magnifique, chantant, rythmé, complexe (même si, ai-je appris, c’est encore un de ses poèmes les plus lisibles et les moins ambigus):

Do not go gentle into that good night,

Old age should burn and rave at close of day;

Rage, rage against the dying of the light.

 

Though wise men at their end know dark is right,

Because their words had forked no lightning they

Do not go gentle into that good night.

 

Good men, the last wave by, crying how bright

Their frail deeds might have danced in a green bay,

Rage, rage against the dying of the light.

 

Wild men who caught and sang the sun in flight,

And learn, too late, they grieved it on its way,

Do not go gentle into that good night.

 

Grave men, near death, who see with blinding sight

Blind eyes could blaze like meteors and be gay,

Rage, rage against the dying of the light.

 

And you, my father, there on the sad height,

Curse, bless, me now with your fierce tears, I pray.

Do not go gentle into that good night.

Rage, rage against the dying of the light.

Et voici la version roumaine de Mircea Cartarescu, que je trouve très belle, bien plus belle que nombre d’autres (souvent confuses et lourdes) dans cette langue: 

Nu intra lin în noaptea bună, fără zori

Bătrânii-ar trebui să urle-n asfințit

Ah, strigă, strigă contra stingerii de sori!

 

Deși-nțelepții au uitat adeseori

Să fulgere, și bezna i-a-nvelit,

Nu intră lin în noaptea bună, fără zori.

 

Cei buni, cei de pe urmă, orbitori,

Vestindu-și faptele în golful cel umbrit

Ah, strigă, strigă contra stingerii de sori.

 

Cei ne-mblânziți, ce-au prins soarele-n zbor

Și prea târziu sfârșitul i-au simțit

Nu intră lin în noaptea bună, fără zori.

 

Cei gravi, ce văd că ochii orbi nu dor,

Ci strălucesc ca meteorii, fericit,

Ah, strigă, strigă contra stingerii de sori.

 

Și tu, părinte, în al tău pridvor

Blesteamă-mă, alină-mă cernit.

Nu intra lin în noaptea bună, fără zori,

Ci strigă, strigă contra stingerii de sori!

 

La traduction française est la suivante :

 

N’entre pas serein dans cette nuit sans aurores,

Les vieux devraient hurler quand le jour tombe,

Ah, rage, enrage contre la mort des soleils !

 

Les hommes sages oublient souvent

De tonner et s’enfoncent dans l’ombre qu’ils savent méritée,

Mais ils n’entrent pas sereins dans cette nuit sans aurores.

 

Les bons, la dernière vague, les aveugles

Se souvenant des actes de leurs vertes années dans le golfe sombre

Ah, ragent, enragent contre la mort des soleils.

 

Les hommes sauvages qui saisirent le soleil en plein vol

Et sentirent trop tard qu’il versait dans la pénombre

N’entrent pas sereins dans cette nuit sans aurores.

 

Les hommes graves, qui voient que les yeux aveugles sont indolores,

Et même, qu’ils brillent, gais météores,

Ah, ragent, enragent contre la mort des soleils.

 

Et toi, mon père, de ton triste balcon,

Maudis-moi, je t’en prie bénis-moi de tes larmes endeuillées.

Mais n’entre pas serein dans cette nuit sans aurores,

Et rage, enrage contre la mort des soleils !

Mais pour comprendre la présence de ce magnifique texte dans le chapitre 26 de Solénoïde, il faut lire les quelques mots qui le précèdent, et aussi que je rappelle brièvement où en est notre héros : il a fait la connaissance de la belle et vaniteuse Caty hantée par la perte de sa jeunesse et de sa beauté, laquelle lui révèle l’existence d’un groupe de personnes qui protestent, (excusez du peu, il fallait l’imaginer!) contre la condition humaine ô combien passagère et mortelle. Ce sont les « piquetistes » (parce qu’ils plantent leurs piquets de grève dans les lieux où la souffrance mérite qu’on la hue et qu’on la dénonce). Pour simplifier et pour les montrer du doigt, les autorités les étiquettent sous le nom de « secte ». Plusieurs semaines après ces quelques heures magiques et ambiguës passées avec Caty dans le secrétariat de l’école, il se décide à aller voir ce que sont ces fameuses soirées de manifestation « contre la mort ». Ce soir-là (c’est donc le début du chapitre  26), il découvre leur guide, un certain Virgile, qui distribue aux manifestants des feuilles polycopiées, comme cela arrive parfois dans les manifs. Notre jeune professeur curieux raconte :

« Sur la feuille figure aussi un vrai poème, fort et sonore comme un cri de désespoir et comme un hymne à l’humanité entière. En dessous, Virgil a simplement noté le nom du poète : Dylan Thomas.

Je veux en lire plus, car il est évident qu’il s’agit d’une des très rares personnes à comprendre réellement de quoi il est question : »

Suit donc la traduction roumaine. Elle a des rimes fortes et belles, que j’ai vainement tenté de suivre. La langue roumaine a cette chance, et Mircea Cartarescu l’a saisie au vol, de faire rimer zori, les aurores, et sori, les soleils. Ces rimes embrassées sont tellement importantes dans la version originale pour rendre palpable la révolte, l’opposition viscérale, le cri contre la mort. Ça se perd complètement dans les traductions françaises que j’ai pu consulter. On ne peut pas faire dire à une langue ce que son génie ne veut pas dire… 

Mon dilemme a été de trouver une version qui reprenne le plus possible la version roumaine sans perdre trop du sens littéral qui, souvent, fait les traductions françaises existantes. Je pense surtout à la deuxième strophe dans laquelle le poète Dylan Thomas évoque l’exemple des sages qui se résignent et qui entrent dans l’ombre mais pas sans révolte. La langue roumaine a peut-être cette chance d’avoir une expression qui contient le mot fourche pour dire « avoir maille à partir avec » (a avea de furca cu), une expression qui suggère donc l’opposition… Cela a peut-être facilité l’interprétation de cette strophe contenant le tout de même énigmatique Because theirs words had forked no lightning   par Mircea Cartarescu, de cette manière aussi limpide et synthétique (la traduction mot à mot entre crochets ne rend pas justice au travail de l’auteur !) :  

Deși-nțelepții au uitat adeseori [Même si  les sages ont oublié souvent]

Să fulgere, și bezna i-a-nvelit, [de tonner et que l’ombre les a englouti]

Nu intră lin în noaptea bună, fără zori. [Ils n’entrent pas sereins dans cette bonne nuit, sans aurores]

car « tonner » [a fulgera] exprime bien à la fois l’inscription de l’homme dans l’univers naturel qui le dépasse largement et l’expression, par métaphore, de sa colère et de sa révolte. Un mot qui résout le « words had forked ».

C’est pour exprimer tout cela que le poème existe dans Solénoïde. En roumain, il semble avoir été écrit pour y être serti. Il me fallait donc obligatoirement donner une version qui se cale peu ou prou sur la version roumaine, même au détriment de ce qui est admis en français, au rayon « traductions de Dylan Thomas ». J’aurais voulu ne pas suivre la pourtant jolie homophonie de « rage » doublé de « enrage », trouvée par le traducteur français (Alain Suied) et utiliser le verbe « hurler » qui est repris ensuite dans tout Solénoïde…

Une page plus loin, M.C. écrit ce magnifique paragraphe qu’il place dans la bouche de Virgile. Virgile harangue la foule des manifestants (comme un autre Virgile guidait un Dante médusé sur les chemins tortueux des enfers) : 

« Minuscules dans notre insignifiance, micelles sur un grain de poussière dans l’infini, protestons contre la disparition des consciences ! Il est diabolique, il est intolérable qu’un esprit meure. Qu’une créature comprenne son destin, cela aussi, c’est au-delà des limites du mal. C’est cruel, barbare, inutile de mettre un esprit au monde, au bout d’une nuit infinie, rien que pour le plonger, après une nanoseconde de vie chaotique, dans une nouvelle nuit sans fin. Il est sadique de lui donner à l’avance la pleine connaissance du sort qui l’attend. Il est abominable d’en tuer des milliards et des milliards, génération après génération, saints, braqueurs, génies, héros, putains, mendiants, travailleurs de la terre, poètes, spéculateurs, anargyres, tortionnaires, bourreaux et victimes ensemble, méchants et gentils pareil, qu’elle est mélancolique et désolante cette œuvre de criminel en série ! Notre monde va s’éteindre, l’univers va pourrir en même temps que les autres milliards d’univers, mais l’être et le non-être dureront autant que durera l’éternité, comme un mauvais rêve, comme une interminable toile d’araignée. Et nous, les perles du monde, son cristal qui aurait dû briller éternellement, nous ne serons plus jamais, jamais, quand bien même le temps durerait et indépendamment du nombre de désastres qui arriveraient dans l’enfer qu’est le monde physique, dans la geôle infinie de la nuit. Protestez, protestez contre l’extinction de la lumière !

Rendez-vous demain (promis!)

Tresses, queues de cheval et midinettes

…La suite de mes notes

p. 367. Je m’y remets. Je suis dans un chapitre sublime et horrifiant, le 25. Sublime parce que horrifiant. Nicolae Minovici, sa passion des tatouages qui le conduit à construire une bien étrange collection. Et son histoire d’amour qui lui révèle la voie professionnelle à suivre… C’est là que je me retrouve à chercher comment rendre le mot codană.

C’est une « jeune fille aux cheveux attachés en queue de cheval »… Allez trouver un mot équivalent en français… Car ce mot est chargé de bien plus d’informations et de sens qui demeureront, malheureusement, cachés pour toujours au lecteur français, je le crains. Voici donc un bel exemple de « part des anges »… Le mot est un peu ancien mais encore volontiers utilisé par les auteurs roumains qui l’affectionnent pour sa valeur évocatrice. Il se base sur le mot « queue », comme queue de cheval, et peut d’ailleurs désigner un animal doté d’une queue. On appelle codană une jeune fille qui, littéralement, « entre dans la ronde », dans la société, dans le rang des filles à marier. Dans le mythique village roumain, la hora, la « ronde », remplissait un peu le rôle social du bal de chez nous, autrefois. Et si ce mot a été inventé, c’est pour différencier les jeunes filles des fillettes, lesquelles coiffaient leurs cheveux en tresses. Devenues grandes, elles pouvaient attacher leur parure capillaire en queue… Une manière de communiquer au monde leur nouveau statut de femme.

Alors, « jeune fille »? Trop dénoté, pas assez connoté. « Jeune vierge »? Pas du tout, je sombrerais dans un autre texte, quoiqu’il s’agisse justement de cela. « Toute jeune femme »? Il me semble que cette expression est connotée sciences sociales, mais je ne saurais dire pourquoi….

Je pense à midinette… j’hésite un instant en me disant que cela fait peut-être trop parisien, mais c’est ce que je choisis. Le contexte m’aide : le narrateur dit un peu plus haut qu’elle est peut-être une couturière des faubourgs…

C’est dans ce passage que se trouvait ce joli mot :

« Nicolae n’avait rien à offrir à la jeune fille modeste, peut-être une couturière des faubourgs, à la peau d’une blancheur de lait. Il se promena avec elle au cours de quelques crépuscules dans la ville spectrale, il l’amena chez lui seulement pour lui montrer sa collection de photographies de corps tatoués et il la laissa repartir intouchée. A sa fenêtre, il regarda la jeune femme, pleurant à chaudes larmes, monter dans le tramway hippomobile arrêté devant son immeuble de quatre étages. Puis il sortit sa planche à dessin, où elle figurait dans la position de la Petite Sirène et tandis que l’air dans la pièce s’assombrissait, il se mit à orner les épaules et les bras de la fille de traits de plume formant des dentelles et des tressages imaginaires. Puis il jeta sur la feuille une émulsion de nacre.

Au bout de quelques mois de tourment, la fille se pendit, selon la coutume des infortunées midinettes des faubourgs, différentes jusque dans la mort de leurs sœurs restées à la campagne, lesquelles, quand elles tombaient enceintes se jetaient la tête la première dans un puits. L’étudiant des Beaux Arts était allé la voir alors qu’elle pendait encore à une poutre du plafond, dans sa chambrette avec des géraniums aux fenêtres. La pièce sentait le basilic et la propreté. Une bassine d’eau renvoyait des reflets tremblants sur les murs. Le policier fumait impassiblement, assis sur le lit, à deux doigts des pieds rigidifiés, déchaussés, de la morte. Le chef lui avait donné l’ordre de ne toucher à rien jusqu’à son arrivée. » 

11862 aujourd’hui, en ce beau dimanche! Je vais sortir prendre l’air. Sans jeu de mot.

23 juillet

p.370

Moale : un des mots les plus polysémiques, chez Cartarescu. Je devrais m’amuser si j’avais le temps à relever tous ses différents emplois. Dans le texte roumain, peuvent être moale une pierre précieuse, une page de papier… Ce sont les deux occurrences qui me viennent à l’esprit, à l’instant. Doux, lisse, suave… Des mots pas forcément synonymes … 

27 juillet

Je pense que je vais utiliser le mot « piquetistes », pas « piqueteurs »…

Rendez-vous demain, même heure

 

Le très béni corps humain

La suite de mes notes…

21 juillet

J’ai commencé le weekend en entamant le chapitre 25!  Et je viens de faire deux pages que j’adore. Le narrateur de Mircea Cartarescu, ce jeune professeur à la carrière d’écrivain raté retrace la vie de Mina Minovici, un type incroyable, à la fois fondateur de la médecine légale en Roumanie et auteur d’expériences complètement tordues, mais pourtant menées de manière scientifiques: sur la pendaison contrôlée!

Puis le paragraphe se termine sur : « Boli, paraziţi, diformităţi, ruină a celui mai nobil templu durat pe faţa luminoasă a lumii: binecuvântatul trup omenesc. »

Il y a d’abord le mot « durat« , très rarement utilisé pour signifier « construit, édifié ». Mais c’est une simple question de lexique, ce n’est pas compliqué.

En revanche, la chute de la phrase mérite l’attention. Je m’en rends compte parce que je dis le texte à voix presque haute tout en écrivant : « le béni corps humain ». Il me manque une syllabe, quelque chose. « Béni » se trouve mal en antécédent du nom, je trouve. Le « corps humain béni » est plat, il ne porte pas l’accent sur « binecuvântat« , qui est très chargé de sens. C’est en roumain le « rempli de grâce », « le bienheureux ». « Bienheureux » tomberait bizarrement dans le contexte. Est-ce que « le très béni » représenterait un ajout trop osé? Pour un œil français, c’est très beau. Pour l’oreille aussi. Pourvu que les critiques roumains et l’auteur lui-même ne me trouvent pas trop libre:

« Maladies, parasites, difformités, ruine du plus noble temple édifié sur la face éclairée du monde : le très béni corps humain. »

Mais après tout, ne demande-t-on pas au traducteur de donner au monde un livre qui soit comme écrit en français? Est-ce que je trahirais la pensée de l’auteur et du narrateur en choisissant « très béni »? Au fond de mon cœur, je suis certaine que non.

J’avance comme ça. Il fait soleil et je me sens bien. J’écris.

a prinde cheag : s’enrichir

10708 signes aujourd’hui. Je vais au tennis.

Rendez-vous demain, même heure

Un merlu mélancolique

La suite de mes notes…

28 juin

Page 325, je retrouve « te-be-cis-tul! »… Je me souviens, oui, c’est bien dans Petrutza que cet épisode est raconté (dans Pourquoi nous aimons les femmes), mais sous un angle différent. Et puis aussi dans Orbitor… J’avais choisi « oh, le tu-bard! » pour la chansonnette de moquerie, celle que les enfants entonnent autour du narrateur sidéré par la découverte de sa « maladie honteuse ». J’avais cherché à conserver le « t » qui existe dans le mot roumain pour le test tuberculinique, « TBC », « la torture de ma vie » écrit le narrateur, que l’on entend « tébétché » et dont les enfants impitoyables font une ribambelle de syllabes chantées sur le ton de « la-la-la-la-lèreeee »…. Le mot « tubard », providentiel, enraciné, évocateur, convenait à merveille et permettait même de chanter sur les mêmes notes avec le même accent tonique sur le « t ». Le rêve. Je le conserve ici… 

12 juillet

Page 349, à la fin du chapitre 24, je m’amuse un peu pour trouver la traduction de « morun melancolic« … Je veux bien sûr garder l’assonance, la répétition des « m », alors j’écarte d’emblée « l’esturgeon mélancolique », car l’auteur, comme souvent, en poète, écrit aussi à l’oreille et ce qui compte ici ce n’est pas la rectitude ichtyologique mais les sonorités… Je pense bien sûr à la presque homophone « morue », mais quelle rencontre fâcheuse ce serait, si j’écrivais « cette morue mélancolique! » Ce serait tellement faux et ridicule! Ce serait ignorer toute la polysémie du mot français qui nous emmène sur le terrain des escrocs, avec l’églefin, chez Hergé avec le tintinesque haddock ou sur les tables de nos cantines avec le cabillaud, sans parler de la merluche pas très sérieuse en putain, voire en thon…  Il me reste le merlu, qui a l’avantage de ne pas traîner dans les bas-fonds de la langue…

C’est pour un des rêves nombreux transcrits dans Solénoïde et qui font aussi la richesse de ce livre : 

« Et voici, à un quart de siècle de distance, que reparaît dans un rêve la salle ronde où je me suis réveillé après l’opération, en ce jour lointain où maman m’a porté dans ses bras jusqu’à l’hôpital, dans la neige, un rêve…

…cohérent, d’une grande limpidité. Je retiens seulement l’image hémisphérique d’une grande salle. Elle a des parois en verre, comme une cloche, mais presque entièrement couverte de draperies couleur crème. La cloche et aussi le sol tournent lentement, la cloche de manière visible, le sol avec une extrême lenteur. Le tout a peut-être soixante-dix mètres de diamètre. Je suis assis avec des dizaines de personnes sur un banc circulaire, le long des parois. Contre mon épaule repose une fille d’environ quatorze ans, avec de très beaux seins nus (elle est torse nu). Ensuite tout le monde se précipite vers des guichets ou des niches dans les parois de la salle. Quand j’arrive devant, je vois, de l’autre côté du guichet, sur une longue table, un énorme poisson, les yeux grand ouverts.

Je me souviens bien de ce rêve et surtout du « poisson », en réalité une créature difficile à décrire qui gisait sous une sorte de tube de la même couleur crème que les murs et les draperies. Il faisait cinq ou six mètres de long et je ne sais pas pourquoi, alors que quelques formulations pour décrire ce merlu mélancolique me viennent en tête, je préfère le laisser dans un flou qui convient mieux à sa présence. »

Rendez-vous demain, même heure