Olivier Lamm et François Angelier au sujet de Théodoros, sur France Culture 

Critique littérature étrangère : « Théodoros » de Mircea Cărtărescu, l’épopée éblouissante de Téwodros II

  • Olivier Lamm Journaliste et critique à Libération
  • François Angelier Producteur de l’émission « Mauvais Genres » sur France Culture, spécialiste de littérature populaire

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« Les critiques débattent de Théodoros de Mircea Cărtărescu et de Petits travaux pour un palais de Laszlo Krasznahorkai, deux romans écrits par des figures majeures de la littérature d’Europe de l’Est, potentiellement nobélisables.

« Théodoros » de Mircea Cărtărescu

Teodor, dès son plus jeune âge, rêve de devenir empereur, d’égaler cet Alexandre dont sa mère, grecque, lui chantait les exploits. Comme possédé par son fantasme, le garçon va travailler sans cesse à s’élever et, devenu adulte, il ne reculera devant rien, aucun péché, aucun méfait. Occupé à sillonner l’archipel grec et le Levant, qu’il écume avec une bande d’affreux pirates, il décrit autant qu’il rêve sa vie aventureuse et les actions cruelles et audacieuses qu’il entreprend dans sa quête de pouvoir et de richesses…

Critique et théoricien littéraire roumain, Mircea Cărtărescu s’est imposé comme l’une des figures les plus éminente de la littérature d’Europe de l’Est issue de la génération des années 80. Dans Théodoros , il nous conte l’ascension prodigieuse, puis la chute d’un homme quelconque qui devint empereur. L’auteur roumain s’empare de l’histoire fantasmée de Téwodros II, roi des rois d’Ethiopie, monarque parmi les plus décisifs du chemin de l’Abyssinie vers la modernité, et la réécrit avec son style unique, posé à la frontière du rêve et de la réalité.

Les avis des critiques

  • François Angelier : « S’il y a un mot pour résumer le roman de Cărtărescu, ce serait « merveille ». L’auteur travaille sur les sensations de l’émerveillement et l’éblouissement. Les mots sont d’une précision technique paralysante, les visions aigües. Cărtărescu est un grand fresquiste, on a l’impression de lire une sorte de Gaudi romanesque. Ce roman fait partie de ceux qui ne s’arrête jamais complètement. Et le style va dans ce sens, c’est un roulement continu. Avec toute son œuvre, Cărtărescu transcende les étiquettes et les genres, il injecte à sa guise un peu de fantastique, de registration et de folklore pour atteindre une sorte de grande narration universelle.« 
  • Olivier Lamm : « Lorsque l’on mentionne Théodoros, je vous parlerai de souffle coupé. J’ai l’impression que Cărtărescu écrit sur la cornée de notre œil. Ce livre est presque un roman oulipien, on ne sait pas s’il prend vraiment fin à un moment. On est en permanence coincé entre le rêve et la réalité, en oscillation avec le monde du littérateur. Mais Cărtărescu s’autorise aussi beaucoup de fantaisies et d’humour. Loin d’être un auteur obscur, il prend son lecteur par la main avec sa musique et son univers tout à fait singulier.« 

Théodoros de Mircea Cărtărescu (traduit du roumain par Laure Hinckel) a paru aux éditions Noir sur Blanc. »

 

Avec Théodoros « vous croirez toucher du doigt la vérité du monde »

Il y a eu d’abord, le 13 juillet, la publication des premières pages dans Libération avec une présentation par Claire Devarrieux dont je cite ces quelques lignes : « Bondissant d’un épisode à l’autre, tour à tour exégète de la Bible et peintre de communautés païennes, parfois paillardes, Mircea Cartarescu nous raconte aussi bien la vie de Joshua Norton, «empereur des Etats-Unis», que l’invention de la photo par Nicéphore Niépce. On n’est là qu’au début de l’épopée de Théodoros. » 

Puis, le 21 juillet, c’était au tour de l’excellente publication en ligne AOC de publier ces premières pages.

A la mi-août, le livre est sorti des presses et je l’ai reçu le 22 , le jour même de sa livraison dans les librairies. J’ai été émue et heureuse de l’avoir en main : il est beau, léger, son texte merveilleux qui m’a accompagné pendant presque une année de traduction intense, est imprimé sur un délicat papier ivoire très fin.

Le même jour sortait en kiosque l’hebdomadaire Le Nouvel Obs ( le numéro avec le ténébreux Alain Delon en couverture) publiant sur trois pages un long entretien avec Mircea Cartarescu, signé Didier Jacob. J’étais bien sûr dans la confidence, puisque j’ai traduit ce jeu de questions – réponses incroyablement pertinent pendant mon séjour danubien et photographique (j’en dirai plus dans un autre article)… Mais je voudrais citer la réponse excellente et tendre à la question qui taraude Didier Jacob : « On parle de vous pour le prix Nobel. Vous vous y préparez? » Là, le romancier a cette réponse incroyablement belle : « Maman a 95 ans et elle mériterait une dernière occasion de se réjouir. […] Mais les prix ne sont pas faits pour apporter de la joie aux vieilles dames..« 

Ce n’était que le début.

Deux jours plus tard, le 24, Le Temps, sous la signature de Julien Burri  consacrait presque une page à une recension du « roman le plus ambitieux de la rentrée« . Accompagné d’une photo d’une église rupestre éthiopienne de Lalibela, l’article évoquait le « fourmillement fantasmagorique et gourmand [qui] irrigue tout le texte« . Julien Burri faisait aussi des liens avec Solénoïde et Melancolia, mes deux précédentes traductions parues chez Noir sur Blanc, pour signaler des thèmes et des topos récurrents. Julien Burri signalait « un événement littéraire, un récit dont la puissance narrative peu commune renoue avec celle des grands
conteurs, anciens et modernes. »

Il y a quelques jours, le mensuel Transfuge, numéro de septembre (avec en couverture l’impressionnant James Ellroy pour son livre Les enchanteurs traduit récemment par les amies Sophie Aslanides et Séverine Weiss), publiait une extraordinaire page de vraie littérature critique, sous la plume de Damien Aubel (d’ailleurs, ce n’est pas étonnant, car ce critique est lui-même un écrivain fougueux : Je suis le feu chez Marest éditeur en atteste). Il écrit : « Mircea Cartarescu fond lectures historiques et débauches de l’imagination avec une allégresse érudite auprès de laquelle un pourcentage non négligeable de romans contemporains fait figure d’avortons avaricieux… » Et aussi : « Si l’on amputait le livre de son plus petit appendice – de sa plus petite phrase – il crierait, blessé à vif. »

Et puis, il y a eu le jour de sortie de Télérama, qui accorde un score superbe à Théodoros (4 T!). Là encore, très belle recension, écrite par Youness Bousenna (un des primo romanciers de cette rentrée littéraire 2024) qui parle de « l’énergie surhumaine contenue dans ces six cents pages virtuoses » et rend hommage (j’avoue, cela me touche) à « la langue prodigieuse, et admirablement traduite » de ce « diamant » de l’écrivain qui « franchit peut-être un nouveau cap: celui de maître du Verbe« . « Long poème messianique, Théodoros ne se lit pas comme un roman, dont il n’a pas les jeux de rebondissements, plutôt comme un chant céleste, puisque l’histoire est racontée par un archange« .

Aujourd’hui, jeudi 29 août est aussi paru un très grand entretien sur deux pleines pages du journal Le Monde. Florent Georgesco signe cette conversation délicieuse de nuances et un article de présentation du livre. Il parle de la « machine narrative qui se met en place [n’ayant] dès lors d’autre fonction que d’entraîner le récit dans des embardées. Le déraillement devient la règle d’un livre qui accomplit sa promesse d’aventure avec une puissance narrative éblouissante – servie par la traduction de Laure Hinckel, impressionnante de précision et de force –, tout en devenant radicalement autre chose. » En connaisseur de l’œuvre de Mircea Cartarescu, Florent Georgesco  peut écrire ceci (je ne résiste pas à la joie de le retranscrire) :  « Les romans de Mircea Cartarescu ­tirent leur extraordinaire énergie de ce rêve d’atteindre le point où toutes les histoires se rassemblent, où chaque aventure devient celle de chacun de nous, et de la Terre, et du Ciel, et de tout ce qui peut être dit sur tout ce qui est. Ce n’est qu’une illusion, un désir halluciné de voir l’irréel prendre corps. Mais la littérature, à ce degré d’accomplissement, est un tour de magie. Lisez ce chef-d’œuvre. Vous croirez toucher du doigt la vérité du monde. »

Et puis je n’ai plus tenu le rythme, occupée que je suis à la tête de la revue TransLittérature de l’ATLF, dont je prépare avec le comité de rédaction le numéro 66..

Voici (presque) tous les articles superbes parus depuis la fin septembre :

Dans le Magazine littéraire :

Dans la Libre Belgique :

Théodoros La Libre Belgique 2 octobre 2024

Dans le Canard Enchainé, sous la plume de Fabrice Colin :