L’Ukraine vue de mon jardin roumain

Je suis atterrée. Je passe cette soirée du 1er mars à lire les journaux ou à consulter les posts sur Facebook ou regarder les reportages à la télé. Demain j’irai porter une caisse de denrées là où s’organise une collecte à destination des Ukrainiens. Mais ce n’est presque rien.

Il faut aussi peut-être faire ce que je fais de mieux : réfléchir et témoigner.

Je vois sur une carte publiée aujourd’hui dans Libé l’état des combats et les zones séparatistes du Donbass et de la Crimée… et je suis sidérée de constater que j’avais oublié cette situation.

Que s’est-il passé pour que j’oublie l’existence de cette bombe à retardement?

C’était en 2014. Un « référendum » en Crimée consacrait son rattachement de facto à la Russie. Et puis le temps est passé, j’ai oublié, on est nombreux à avoir oublié.

Il faut dire qu’entre-temps, oui, nous avons vécu la terreur des trois attentats et attaques de janvier 2015 puis ceux de novembre. Nous venions à peine de repasser par une très relative sérénité – car nous devions attendre, il en faudrait du temps pour arriver au jour du procès du seul terroriste emprisonné – et la pandémie avait frappé le monde, avec son lot d’enfermement, d’enfermements, de désinformations multiples, de combats idéologiques.

Et puis voilà que nous devons nous réveiller de force alors que nous étouffons encore sous les masques.

Je n’aurais pas dû oublier le Donbass, parce qu’il y a très près de nous un autre tout petit Donbass très dangereux que je connais bien. Il s’agit de la Transnistrie.

L’existence de cette enclave séparatiste qu’aucun pays au monde ne reconnaît à part quelques entités elles-mêmes autoproclamées (l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud-Alanie et le Haut-Karabagh) fait tic-tac et c’est ce qui me fait le plus peur en cas de forte avancée des troupes russes vers le sud et l’ouest de l’Ukraine.

Qu’est-ce qui empêcherait alors Vladimir Poutine de s’en emparer enfin, alors que cela fait trente années que la Russie maintient ses réseaux et son régime à flot?

Je vois avec angoisse un premier point rouge fleurir sur la carte des actions militaires russes en Ukraine, tout près de la Transnistrie et de la Moldavie (journal du 1er mars). Je n’ai pas d’information sur l’état d’esprit  actuel des dirigeants de Tiraspol.

Il y a eu retrait officiel de la fameuse 14e armée russe, oui, celle du célèbre Général Lebed que j’avais interviewé en décembre 1995 à la veille de son entrée en politique à Moscou, mais en réalité, il y a toujours des troupes russes en Transnistrie et la présidente de Moldavie Maia Sandu s’est vu obligée encore assez récemment de demander, en vain,  leur départ réel et leur remplacement par des observateurs de l’OSCE…

Des tonnes d’armes sont encore sur place. Je tremble, dans la logique du pire qui semble être enclenchée depuis plusieurs jours. Est-ce que Poutine poussera la folie jusqu’à vouloir faire la jonction Tiraspol – Kherzon et donc tenter de constituer la partie ouest du fameux « glacis » de protection qui relierait le Donbass à la Transnistrie?

Est-ce que la Transnistrie voudra profiter d’un effet d’aubaine?

Est-ce qu’elle préfèrera plutôt  le statu quo, à l’abri de sa zone grise qui permet à ses propres oligarques de réaliser de gros profits, y compris dans la production et le commerce du textile pas cher pour de grandes marques présentes dans les franchises ayant pignon sur rue dans toute la France et en Europe? Sans oublier les trafics rémunérateurs, comme celui des armes (même si c’est un peu voyant et plus contrôlé ces dernières années), mais aussi de cigarettes, cuivres et autres métaux?

Ce conflit majeur et gravissime me renvoie soudain trente ans en arrière.

 

En 1992, la guerre s’intensifiait soudain, au printemps, après des mois d’anicroches, et un front meurtrier, alimenté par l’implication de la Russie se stabilisait sur le Dniestr, mais aussi un peu de chaque côté du fleuve, rendant encore plus inextricable l’écheveau explosif constitué autrefois par Staline. Ce magnifique fleuve et les bourgades qui la longent, mais aussi et en premier lieu les grandes villes de Bendery et de Tiraspol devenaient des pièges pour les civils, des impasses pour les militaires des deux camps qui y ont trouvé la mort. On estime à environ 1000 le nombre de morts de cette « petite » guerre. Mille pour un territoire extrêmement petit. On se battait sous le soleil et au milieu des champs de fraises. C’est une phrase qui ressort du reportage publié avec Philippe Lançon dans l’Evénement du Jeudi du 2-9 juillet 1992.

Comme j’étais novice dans le domaine du reportage ! Bernard Poulet m’accorda sa confiance, il me fit une avance de 1200 francs pour mes feuillets… Philippe Lançon et moi étions accompagnés par Olga, une très serviable interprète roumano-franco-russe qui affronta cette épreuve crânement, dans un ensemble pantalon blazer à épaulettes d’un blanc immaculé et chaussée d’escarpins à talons noirs. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. J’aimerais bien la retrouver.

Quel souvenir poignant j’ai de notre traversée d’une place à Bendery où l’on vit quelques mines anti-char, facile à éviter pour nous trois, piétons munis d’un drapeau blanc, pour aller à la rencontre de civils coincés dans le no man’s land entre les camps des belligérants – celui des Moldaves (côté « intérieur », à l’ouest, et celui des séparatistes pro-russes, dans leur enclave côté est, limitrophe de l’Ukraine (ici je ne vais pas apporter plus de détails sur les motivations des uns et des autres à l’époque ni sur la composition des groupes de combattants).

Les civils rencontrés dans le no man’s land étaient des personnes âgées, résignées dans leurs maisonnettes colorées entourées de treilles et d’arbres fruitiers.

Le parallèle entre l ‘évolution des régions séparatistes de Crimée et de Transnistrie est saisissant. Effrayant aussi. Dans les deux cas, la situation se tend en même temps et pour des raisons similaires : en 2013 par exemple à l’approche de la signature d’un accord d’association avec l’Union européenne dont la Russie ne voulait pas.

Nous avions oublié, vraiment, que les Etats sont capables de se faire la guerre pour des raisons de suprématie géostratégique  – même pour avoir la souveraineté sur un timbre-poste de terre rocheuse (comme par exemple l’île aux serpents, nom bien connu de tous les spécialistes de la région, mais qui accède ces jours-ci à une célébrité non méritée).

Nous sommes devant un dirigeant qui n’est pas sorti de ce schéma-là. Comme un hetman avançant sabre au clair. Mais avec la folie des dictateurs vieillissants des livres de Vargas Llosa ou Garcia Marques.

Voilà, je n’aurais pas dû oublier. En revanche, quelque chose de profondément ancré en moi voulait l’évoquer.

C’est sorti entre les lignes d’un livre que j’essaie d’écrire: dans ce livre, le personnage principal observe, depuis son balcon, l’horizon à l’est où se trouve le nœud des trois frontières entre la Roumanie, la Moldavie et l’Ukraine.

Elle observe l’horizon qui s’étire de l’autre côté du lac, travaille dans un kiosque comme vendeuse de billets de bus, regarde passer des trains qu’elle ne prend jamais et vit ses propres drames, dans son existence de papier. 

Mais aujourd’hui c’est moi, moi qui suis née au Pays des Trois Frontières de Moselle qui ai peur, en pensant aux trois frontières qui se rejoignent là-bas, de l’autre côté du lac, au bout de mon jardin roumain.

 

Mon programme au Salon du livre de Paris!

Superbe programme, cette année encore. Je serai dimanche à 18h sur le stand de la Roumanie (G85), pour évoquer la traduction du livre de Savatie Bastovoi, en sa compagnie, lors d’une table ronde présentée par Cristina Hermeziu (son site Zoom France Roumanie). La présence de ce romancier est rare et il est d’une rare présence. Il fait le voyage, invité par l’Institut culturel roumain (leur programme complet en français en cliquant ici). A ne pas rater.

Je savoure à l’avance le privilège de traduire ce qu’il va dire et de répondre aux questions sur la traduction de son roman, Les enseignements d’une ex-prostituée à son fils handicapé, paru chez Jacqueline Chambon / Actes sud en janvier.

Juste avant, à 17h, nous serons sur le stand d’Actes Sud où l’auteur assurera une séance de signatures: venez nombreux pour obtenir une dédicace! Je serai là aussi parce que l’auteur n’est pas francophone, si bien que j’assure l’interprétariat… A moins que vous ne parliez roumain ou russe? 

Savatie Bastovoi arrivera à Paris samedi et repartira lundi en début d’après-midi, alors, pour le rencontrer, c’est dans ce créneau!

Mais aller au Salon du livre, c’est aussi retrouver ma petite sœur, Florence Hinckel (son site), sur le stand de l’ARL PACA (K18), où elle participe à une table ronde sur le monde vu par les ados. Nathan s’apprête à lancer le tome 3 de son Grand Saut (c’est pour le mois de mai, je crois)!

Je passerai aussi du temps avec mes éditeurs, Jacqueline Chambon, qui publie si régulièrement mes traductions, sur le stand Actes Sud.

J’irai voir aussi David Bosc, l’excellent éditeur de Noir sur Blanc… Car, oui, en effet, j’ai une très belle traduction en cours pour cette maison (j’ai déjà travaillé pour cette maison (voir ici le très beau livre édité il y a quelques années et dans lequel figurent plusieurs de mes traductions )… Mais chut, j’en dirai plus bientôt, au sujet de cette importante traduction en cours…

J’irai voir l’éditrice Olimpia Verger, sur le stand des éditions des Syrtes, où cette année j’irai embrasser mon ami Philippe Loubière qui signe pour cette maison la traduction du roman de Tatiana Tibuleac, L’Eté où maman a eu les yeux verts; je ferai un saut pour faire une bise à Fanny Chartres qui, de traductrice est devenue romancière pour la jeunesse et qui dédicace Strada Zambila, sur le stand de l’Ecole des loisirs… 

Mais je vais aussi retrouver mon amie Viviane Moore (son site), qui dédicace sur le stand de 10/18. Son dernier livre, Le Souffleur de cendres, qui vient clore une trilogie sur l’alchimie est très beau et m’a beaucoup plu… Elle a d’autres livres en préparation, cette romancière prolifique : passez lui demander ce qu’elle prépare!

Sinon, eh bien n’hésitez pas à naviguer dans l’univers littéraire de mes traductions, via l’onglet situé tout en haut de l’écran…

A bientôt ici pour découvrir d’autres projets, car cela fourmille: des traductions, des photos, des écrits personnels… 

 

 

 

FILIT : des forêts de mains qui se lèvent

Demain soir, je rejoindrai le Festival International de Littérature et Traduction (FILIT) pour sa 5ème édition.

Qui aurait cru que ce pari tenu par une poignée d’écrivains roumains de province donnerait un si beau résultat?

De grands auteurs européens sont venus jusque dans la petite (last edit après le commentaire de Denis Taurel : même vue de très loin, Iasi est tout de même la 4ème plus grande ville après Bucarest!) grande ville du nord de la Roumanie, depuis 2013, tels par exemple le britannique David Lodge, le prix Nobel de littérature Herta Müller, le bulgare Georgi Gospodinov, l’ukrainien Andrei Kurkov, le hongrois Attila Bartis, le suédois Aris Fioretos, les français Jean MatternJean RouaudFrançois-Henri Désérable, Romain Puertolas

Cette année, de grands noms connus des lecteurs se retrouvent à Iasi, et deux sont des prix Nobel de littérature : Svetlana Aleksievitch, bien connue pour son oeuvre mémorielle et Gao Xingjian, dissident chinois devenu français et qui écrit depuis de longues années dans notre langue. FILIT fait aussi venir à Iasi le somalien de langue anglaise Nuruddin Farah, auteur de plusieurs trilogies dénonçant par la littérature les crimes dans la Corne de l’Afrique. 

Emmanuel Regniez, l’auteur de Notre château, aux éditions du Tripode, est de l’édition 2017 et vient rencontrer les très attentifs lecteurs de cette ville.

Car c’est ce que j’avais remarqué lors des autres éditions (et tous les auteurs l’ont noté aussi: pour en savoir plus, lire ici) : le public est très, très nombreux, les rencontres avec les lycéens ‍organisées dans divers établissements sont des merveilles d’intérêt et d’engagement, avec des forêts de mains qui se lèvent dans les amphis.

Et moi, qu’ai-je à voir avec ce Festival? 

Tout :

✒️j’y retrouverai de nombreux confrères qui traduisent de la littérature roumaine dans leurs langues respectives. Nous sommes norvégiens, italiens, espagnols, anglais, allemands, néerlandais, suédois, hongrois, slovènes, bulgare, polonais ou croates et bien sûr français, et nous nous parlons en roumain, notre langue commune, de travail, de découverte et d’amour partagé pour une littérature,

 

✒️j’y découvrirai de nouveaux écrivains roumains et j’en retrouverai d’autres que j’aime,

 

✒️j’en parcourrai aussi la ville dont les collines et les monuments ont déjà une place dans ma mémoire et que je vais revoir comme on regarde des photos des vacances passées: en traquant les fissures du fond et les nouveaux visages qui se floutent en passant devant l’objectif.

Car un festival de littérature en Roumanie, c’est d’abord l’occasion de prendre un  bain de littérature roumaine, d’entrer dans les librairies, d’acheter des livres, de décrypter ce qui se joue dans la société et, aussi, bien sûr, d’écouter ce que les écrivains ont sous la semelle, avec un ou deux verres dans le ventre en fin de soirée… 

Hôtel Universal vient de paraître!

couverture-universal

Hôtel Universal est ma 15e traduction d’un roman, le 17e livre ! J’atteindrai une sorte de majorité avec la sortie, l’an prochain, de la traduction en cours! Merci, les éditions Belfond qui ont choisi de publier ce premier roman! Pour celles et ceux qui souhaitent un avis extérieur, il y a déjà la critique sensible de Cristina Hermeziu, parue sur Actualitté, ici. Véronique Rossignol, pour Livre Hebdo le présente en quelques mots : «… largement salué à sa sortie en 2012, [ce roman] avance à la manière des souvenirs reconstitués, par recoupements de témoignages pour recréer une réalité insaisissable, une mémoire des lieux trouée et parcellaire. Dans le parfum capiteux des pétales de roses confits, l’odeur des secrets, Hôtel Universal magnifie les destins d’une lignée de femmes fortes, guérisseuses chacune à sa façon, un peu sorcières, des héroïnes « merveilleuses », c’est-à-dire, selon la définition de Maria la grande, »sensibles au merveilleux ».»

Entre roses et chocolats, oui, c’est l’histoire de trois générations de femmes que nous raconte Simona Sora. Toutes ont un lien avec l’Hôtel Universal, un vieil hôtel situé dans le centre de Bucarest. Cet été, je suis allée y faire une sorte de pèlerinage (on peut lire ça ici). J’ai vu les portes verrouillées, ce qui rend cet endroit encore plus mystérieux. L’héroïne du roman s’appelle Maia, et « quand elle posa pour la première fois la main sur la barre de la porte vitrée de l’entrée principale et franchit le perron de marbre rouge, large et incrusté de pierres blanches qui formaient les lettres HU, elle sentit que les années d’échecs, d’humiliations, de peur et de colère rentrée qui pesaient sur son thymus allaient enfin se dissoudre » écrit Simona Sora. Elle a quelque chose d’étrange, cette jeune femme qui vient faire ses études à Bucarest en pleine révolution roumaine de 1989. Elle n’est pas très à l’aise, elle renvoie une image hermétique mais ça ne l’empêche pas d’être acceptée dans une bande d’étudiants aux caractères très marqués, ce qui donne des scènes très hautes en couleurs, placées dans les bars et les cafés autour de l’Université. Dans le passage que j’ai cité, on sent bien qu’elle porte quelque chose de très lourd et qui, peut-être, traverse les générations. Je n’en fais pas un secret : la personne très belle et porteuse de magie, c’est la grand-mère de Maia. C’est son récit qu’on lit dans une grande partie du livre. C’est sa voix qu’on entend. Simona Sora l’a formidablement restituée. C’est par cette voix qu’on a accès aux temps reculés de la guerre de Crimée, au milieu du 19e siècle. La grand-mère chargée de dons ultra-sensoriels parle à sa petite-fille tout en cuisant la confiture de rose. La scène se répète, des années durant, la fillette grandit, l’histoire racontée s’enrichit, s’approfondit. Le personnage de Rada, l’aieulle fondatrice de cette lignée de femme apparaît grâce à celui que la grand-mère conteuse surnomme avec hauteur « Le Cuistot », Vasile Capşa. Grâce à son récit, on suit l’homme doté de papilles d’une finesse exceptionnelle dans ses voyages de commerce, hasardeux, à cette époque lointaine, et qui le mènent en Crimée et jusque sur les rives du Bosphore. Il deviendra chocolatier, mais pour que la lignée se forme, il a fallu une rencontre avec Rada. C’est à moitié mort, qu’il a échoué sur le seuil de sa maison, en Bulgarie. Elle le sauve. Je vous fais cadeau de ce petit passage sur Rada : « Les bouillons qu’elle préparait pour soigner les jaunisses, la chute des cheveux, les maladies de cœur et les bubons noirs l’auraient rendue riche partout ailleurs qu’à Topoli, mais sa grande fierté, elle la tirait de la meilleure confiture de roses primeurs de la rive bulgare de la mer Noire, une confiture peu réduite, dans beaucoup de sirop, comme on fait nous aussi et que mangeaient tous les voyageurs de passage et tous les voisins et dont Capşa a senti le parfum si fort, une nuit qu’il a cru être en plein champ. Enivré de valériane dissoute dans de l’or, il s’est pourtant levé ou a cru le faire et, regardant dehors, il a vu en pleine nuit les champs infinis de rosiers rouges étinceler dans une lumière aveuglante sur la toile violette du ciel. C’était le ciel de Sébastopol sous lequel Costache et lui étaient peut-être morts et, à présent, dans la maison bleue de Niculae, ils n’étaient plus qu’une vapeur de roses cueillies, lavées et cuites à feu vif avec du sucre. »

Je vais m’arrêter là dans le dévoilement, ce serait dommage de tout vous dire de ce roman où l’on a, aussi, une enquête criminelle (aïe, ça y est, je l’ai dit !!).

Ce que je voudrais partager, c’est une interrogation. J’aimerais beaucoup que Simona Sora nous raconte (lors d’une rencontre prochaine avec ses lecteurs, peut-être ?) ce qui l’a amenée à choisir les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola pour ses titres de chapitres. Comme de juste, je me suis plongée dans ce texte pour les besoins de la traduction, et j’en garde un souvenir lumineux. La table des chapitres est ainsi un livre à elle seule, une échelle des mystères, un monde à découvrir :

« Composition de lieu », « Je lui demanderai la grâce », « Règle pour le discernement des esprits », « Médication des cinq sens », « Contemplation pour parvenir à l’amour », « Prélude pour un choix », « Règles de tempérance », « Recomposition du lieu. Contemplation et méditation des choses visibles et invisibles »….

Mais ce que l’on peut faire, en attendant de rencontrer Simona Sora, c’est, par exemple, ouvrir son roman à la page 28 et méditer cette première phrase du chapitre Règle pour le discernement des esprits:   « On ne sait jamais sur qui on peut tomber au creux du sommeil ou lorsque l’on a perdu conscience. » 

En résidence de traduction – 5 – Bucarest

Quand vous habitez quelque part pendant très longtemps, vous prenez les habitudes des gens qui vous entourent. Et il est bien connu qu’on préfère visiter des villes et des monuments lointains alors qu’on aurait de quoi s’émerveiller en traversant la rue. Ou presque. C’est ce qui m’est arrivé à Bucarest. J’y ai vécu et travaillé pendant presque dix ans et j’ai un peu honte de reconnaître que je n’avais pas connaissance de l’église de Bucur le Berger. Je me rends compte aussi que nombre d’amis roumains ne la connaissent pas non plus.

Les quais de la rivière Dâmbovița sont devenus avec le temps une sorte d’autoroute urbaine au lieu d’être un lieu de promenade et de découverte. En allant vers l’est de la capitale, on risque bien de passer sans la voir, cette minuscule église blanche qui surplombe les eaux calmes. Les barres d’immeubles construits dans les années 80 s’interrompent à cet endroit et dans l’interstice, l’église a résisté.

La légende, appuyée par certains chercheurs dit qu’elle est la plus ancienne église de la ville et qu’elle a donné son nom à la capitale roumaine. Plus exactement, c’est un berger du 15e siècle, de son prénom Bucur, qui aurait fondé ce premier lieu de culte sur un talus. Délaissant ses moutons, il avait élevé un sanctuaire qui fut, au fil des siècles, remanié, consolidé, rénové et qui offre aujourd’hui une expérience pleine de douceur et de tendresse à quiconque gravit les quelques marches menant à son entrée.

Une très jolie muraille d’enceinte comprend un clocher et au-dessus de l’entrée, une mosaïque contemporaine représence les saints protecteurs du lieu, Athanase et Cyrille, patriarches d’Alexandrie. Le minuscule jardin est luxuriant et entretenu. Les murs de l’église sont couverts d’icônes de différentes manières et époques. J’ai beaucoup aimé l’originalité de l’une d’elles, peinte sur verre par un artiste méconnu et parfaite illustration de la pieuse inventivité des artistes naïfs. « Je suis le cep et vous êtes mes sarments »: les paroles de l’apôtre Jean trouvent ici une émouvante représentation.

 

 

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