Bibliomane, bibliotaphe, bibliognoste : lequel êtes-vous?

Partie sur les traces, hier, de Till Eulenspiegel , autrement dit Til l’Espiègle, je suis tombée sur une édition belge de 1835 dont l’avant -propos, signé par un bibliophile passionné, contient quelques définitions de mots suffisamment rares pour que j’aie envie de les partager ici.

Cette édition n’est, pourtant, pas du tout la meilleure pour savourer les facéties du personnage.

Il faut lui préférer celle de Pierre Jannet, « première traduction complète faite sur l’original allemand de 1519 », car elle est bien plus complète et surtout, bien meilleure.till.JPG

Pour l’instant, ce que je livre à votre sagacité, vous mes lecteurs qui êtes, je le sais, amoureux des livres, ce sont ces quelques lignes :

« On moque le bibliophile et ses soi-disants confrères, le bibliomane, le bibliotaphe et le bibliognoste. Le premier est évidemment plus éclairé et plus utile à la littérature, parce que, ne s’attachant qu’aux bons ouvrages, il rend nécessairement les auteurs plus circonspects, plus difficiles et plus soigneux dans leurs productions.

La bibliomanie est la fureur de posséder des livres, non pas tant pour s’instruire que pour les avoir et pour en repaître sa vue.

 

Le bibliotaphe, mot tiré du grec, comme le précédent, signifie enterreur de livres. Le terme s’applique à ceux qui n’achètent des livres que pour les enfouir et empêcher les autres d’en profiter. Ils sont aux livres ce que les avares sont à l’argent.

 

Bibliognoste : l’on doit ce mot à l’abbé Rive. Le bibliognoste est celui qui ne connaît guère que l’histoire des livres, leurs titres, la date de leurs différentes éditions, le lieu où elles ont été faites, le nom des éditeurs, des imprimeurs etc., enfin, ce qui tient particulièrement au matériel des livres. »

Alors, vous êtes quoi?

Fièvre du vin de centaurée

J’étais en train de traduire, extrait d’un roman, un très joli passage dont l’action se situe dans une apothicairerie, au début du dix-huitième siècle. Le narrateur relate la mésaventure cocasse et, finalement, bénéfique, d’un enfant (lui-même) placé chez un vieillard très sympathique, toujours plongé dans Le poème de la médecine d’Avicenne et grand amateur de remèdes anciens et rares.

 

Et puis voilà mon apothicaire en train d’administrer à son pupille, pour le soigner d’un mal quelconque, un sirop de frigurică. Et le gamin aime tellement ça qu’il en devient accro, un véritable ivrogne….

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Hum hum, quand un traducteur voit poindre la possibilité d’une recherche dans le vaste lexique des végétaux, il se frotte les mains ! Surtout quand s’y rajoute l’énigme d’une plante qui enivre.

 

Sans surprise, je trouve dans le dico roumain le nom latin de la belle – mais vous le cache pour l’instant, histoire de ménager le relatif suspens de cette chronique.

Je trouve assez évident ce que me dit le dictionnaire, frigul le froid, frigurele, la fièvre, avec le diminutif –ică. Tiens, voilà une plante contre la fièvre, un fébrifuge traditionnel.

 

Ça ne me donnait toujours pas le nom de la plante en français.

Erythraea pulchella est une centaurée.

Dans mon texte, la petite centaurée, réputée pour son amertume. On sait depuis les temps anciens que cette amertume est gage, lorsqu’elle vient des plantes, de stimulation de l’immunité, d’ouverture de l’appétit et des voies biliaires, d’élimination des déchets.

Or, dans la médecine traditionnelle, pour faire baisser la fièvre, il faut faire « sortir le mal ». D’où l’emploi très répandu de cette plante amère, comme tant d’autres ayant les mêmes vertus, avec en premier lieu la gentiane, le chardon bénit, l’épinette vinette, le pissenlit, l’artichaut etc.

 

Et mon « sirop de petite centaurée » ? Pourquoi le rend-il ivre, ce pauvre enfant ?

 

Eh bien, « dans nos campagnes », comme on dit, on préparait autrefois un « vin de centaurée ». Un bitter, si vous préférez, autrement dit une boisson amère, sucrée et fortement alcoolisée dont on ne peut s’amuser à fioler sans modération…

 

Pour revenir à mes moutons : je constate en roumain que ce joli mot a choisi, pour se former, à partir du latin febris, la voie domestique et pratique. Cette plante porte donc le nom du mal qu’elle combat. Chateaubriand raconte quelque part : « On m’avait guéri d’une fièvre avec de la petite centaurée ».

Alors que la langue française a choisi de se souvenir du centaure Chiron, rangé parmi les habiles médecins (Littré).

Photo Laurent Crassous.

 

Le cauchemar du pissenlit

Séquence divan:
Le plus délicieux cauchemar du traducteur?
Hum… peut-être l’imagination échevelée des langues vernaculaires, quand il s’agit de donner un nom aux plantes et aux fleurs du cru…
Attention, j’ai dit cauchemar, mais surtout, « délicieux »… Je me régale à plancher sur les mots qui font obstacle.
Imaginez mon air perplexe lorsqu’il m’a fallu trouver, mais surtout vérifier ( bonne maladie journalistique héritée de mon ancienne vie) quelle plante se cachait derrière le joli petit nom de « cul-de-poule » ou « fleur-de-maïs« …
J’ai rapidement trouvé qu’il s’agissait du pissenlit, en roumain papadia, en retrouvant le nom latin de ce cauchemar des jardins non bio.
Et là, j’ai trouvé que les anglais sont descriptifs et surtout, qu’ils nous ont piqué les mots du pissenlit qu’on appelle aussi « dent-de-lion« : chez eux, c’est « dentalion« , comme en portugais, par exemple dente-de-leão ou en allemand Löwenzahn
Mais alors, pourquoi pas de « dent-de-lion » en roumain?
C’est vraisemblablement par le grec… παπαδιά qui signifie « épouse de prêtre orthodoxe ». Cela remonterait très loin, à l’époque où, pour les membres du petit clergé, très pauvres, le pissenlit était une plante de choix, dont ils faisaient de la soupe. Mais il y a peut-être une autre explication que j’ignore.
Juste, pour finir, quelque chose d’étrange: en turc, on retrouve « papadia » sous la forme de « papatya« , et là, il s’agit de camomille. Allez comprendre.

Nouvelles aventures lexicographiques

Les voies du dictionnaire sont impénétrables, je vous le dis!
Je cherchais la bonne orthographe de cette danse hongroise, la csárdás que l’on prononce  « tchardach« … Sur mon clavier, je tape à toute vitesse un semblant de « tchardach » et que me suggère mon correcteur automatique?  Le mot « tcharchaf« …
Consternation, vérification.
Pourquoi autant de surprise? C’est que « tcharchaf » est la prononciation phonétique du mot roumain « cearsaf » qui veut dire « drap ». Tiens, les Roumains ont réussi le tour de force de faire passer un mot aussi commun au français??? Alors qu’il serait temps que d’autres mots roumains (et parmi eux de très jolis mots) trouvent leur place dans le Robert, vu qu’aucun mot français ne correspond vraiment à ce qu’ils décrivent?
Je soulève donc mon Robert. Et que dit ce gentil pépère, sur ce mot manifestement passé au français? « Voile souvent noir avec lequel les femmes turques se cachaient le visage ».
Interloquée, je passe au dico des synonymes roumains.
Et là, j’acquiesce une fois de plus : on en apprend effectivement chaque jour que Dieu fait!
Le mot « cearsaf » (vous avez retenu, ça se dit « tcharchaf« ) vient de la langue turque, c’est bien sûr la « pièce de literie, confectionnée dans de la toile et que l’on pose sur le matelas (…) », merci le dico, mais aussi, dans une acception vieillie (vx) – et ça je ne le savais pas-, une « Toile de turban, un châle. » Ce que ne dit pas ma batterie de dictionnaires, c’est comment on en est passé d’un châle à un drap… Je laisse cela à votre réflexion.