On est bien, à Bucarest!

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Samedi et dimanche soir durant tout l’été, concert classique, airs d’opéra sur la magnifique placette recemment aménagée en plein coeur de Bucarest : la place Coltea, du nom de l’hôpital (une perle du patrimoine bucarestois) en rénovation non loin de là.

Un espace naturellement dédié à la musique: l’installation de cet instrument monumental et allégorique attire le regard. L’aspect rectiligne et vivant des jeux d’eau offre un beau contrepoint visuel. A l’arrière, des magnolias en forme de fuseau dispensent fraicheur et parfum. Une véritable réussite. D’autant plus qu’on n’est pas du tout gêné par la circulation de la place de l’Université, juste en face des chanteurs et des musiciens.

Il y avait affluence hier soir, 12 juin pour écouter musique et jolies voix. Toutes générations confondues.

A deux pas de là, vers 20 heures, le parvis du théâtre national était noir de monde après un spectacle intitulé « La tragédie de Carmen ».

 

Bibliomane, bibliotaphe, bibliognoste : lequel êtes-vous?

Partie sur les traces, hier, de Till Eulenspiegel , autrement dit Til l’Espiègle, je suis tombée sur une édition belge de 1835 dont l’avant -propos, signé par un bibliophile passionné, contient quelques définitions de mots suffisamment rares pour que j’aie envie de les partager ici.

Cette édition n’est, pourtant, pas du tout la meilleure pour savourer les facéties du personnage.

Il faut lui préférer celle de Pierre Jannet, « première traduction complète faite sur l’original allemand de 1519 », car elle est bien plus complète et surtout, bien meilleure.till.JPG

Pour l’instant, ce que je livre à votre sagacité, vous mes lecteurs qui êtes, je le sais, amoureux des livres, ce sont ces quelques lignes :

« On moque le bibliophile et ses soi-disants confrères, le bibliomane, le bibliotaphe et le bibliognoste. Le premier est évidemment plus éclairé et plus utile à la littérature, parce que, ne s’attachant qu’aux bons ouvrages, il rend nécessairement les auteurs plus circonspects, plus difficiles et plus soigneux dans leurs productions.

La bibliomanie est la fureur de posséder des livres, non pas tant pour s’instruire que pour les avoir et pour en repaître sa vue.

 

Le bibliotaphe, mot tiré du grec, comme le précédent, signifie enterreur de livres. Le terme s’applique à ceux qui n’achètent des livres que pour les enfouir et empêcher les autres d’en profiter. Ils sont aux livres ce que les avares sont à l’argent.

 

Bibliognoste : l’on doit ce mot à l’abbé Rive. Le bibliognoste est celui qui ne connaît guère que l’histoire des livres, leurs titres, la date de leurs différentes éditions, le lieu où elles ont été faites, le nom des éditeurs, des imprimeurs etc., enfin, ce qui tient particulièrement au matériel des livres. »

Alors, vous êtes quoi?

Berlin 2 : le choc d’Ishtar

Berlin, ça a été aussi ça : ishtar.JPGLa porte d’Ishtar et la voie processionnelle de Babylone.
Tout autour, un musée d’une incroyable richesse. Impossible de tout voir en une journée, alors on a passé un temps fou à se délecter des moindres détails de quelques oeuvres ciblées à l’avance :l’autel de Pergame, la façade du marché de Milet et Babylone au rez-de chaussée.

Puis une visite d’une intensité inédite à l’étage des arts islamiques: la « chambre d’Alep ». Je regrette de ne pas avoir de photo de cet exemplaire extrêment rare d’une pièce de réception entièrement couverte de boiseries mêlant graphisme stylisé oriental, psaumes, formules de bénédiction et d’action de grâce, représentations colorées de scènes de la vie quotidienne… Tout cela appartenait à un négociant chrétien dans l’Alep du 17ème siècle commençant…

Berlin, ça a été aussi ça, dans la même journée : un Lunchkonzert dans le hall de la Philarmonie : un espace (et quel espace!) plein à craquer d’un public conquis et respectueux. Au programme, Schubert et Chopin…
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Travesty, Travesti, l’Amérique et Cărtărescu – Berlin 1

Les points d’orgue des quelques jours passés à Berlin ?

D’abord le séminaire de Mircea Cărtărescu. Chaque mardi soir pendant un semestre, le professeur Mircea Cărtărescu a évoqué la littérature postmoderne devant les étudiants de l’Institut de Littérature comparée Peter Szöndi de la Freie Universität. Un cours en anglais.

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J’ai assisté à celui consacré au roman de John Hawkes, Travesty. Le hasard fait incroyablement bien les choses : Travesti est aussi le titre d’un roman de l’auteur roumain, traduit en français sous le titre Lulu, aux éditions Austral, avant de quitter ce travestissement pour retrouver en 2007 son titre original en couverture  de la bande dessinée de l’artiste Baudouin

 

Une image à retenir de cette fin de journée ? Le campus est immense, le froid mordant, nous avançons en flottant sur d’épaisses couches de neige oblitérant le moindre bruit. Le bâtiment consacré aux langues romanes surgit au coin d’une rue bordée de villas. On voit de loin, à travers les parois de verre d’une grande salle vivement éclairée, les étudiants de dos et le professeur évoluant devant eux, un livre à la main. Quand nous arrivons, il est question de définir les niveaux d’interprétation de l’œuvre étudiée… Au tableau, les noms de Tsvetan Todorov, Lafcadio, Beckett et Ionesco se posent en flocons de craie.

 

Je ne reprends pas ici le contenu du cours passionnant entendu ce soir-là dans la salle au sol rouge de l’université berlinoise… Je veux juste dire que j’ai furieusement envie de lire ce roman, à présent. Et même en anglais, puisqu’il n’est pas traduit en français, me semble-t-il.

Ce que je regrette? Ne pas avoir croisé Zum-cititor… qui était dans la salle pour ce séminaire!

 

Bucarest – chronique d’été 6

Lundi

 

Le tram – de nouveau. L’enfilade des boulevards portant le nom de princes régnants d’époques lointaines.

Je ne peux pas ne pas m’en souvenir : c’est là, sur la gauche, quelque part entre les stations de métro Ştefan Cel Mare et Piaţa Victoriei que se trouve une petite maison pas tout à fait anodine.  Dans les années 30, Eugène Ionesco y vivait avec sa mère et sa sœur Marinela. C’est au 52 du boulevard Ştefan Cel Mare. Ce lieu est aujourd’hui tout à anonyme. Aucune plaque ne mentionne rien. Et puis, après tout, pour quoi faire ?

Si je mentionne ce lieu, alors que je passe devant, c’est parce que cela me renvoie à l’excellent souvenir d’une enquête que j’ai menée en 1994 « sur les traces d’un lycéen roumain nommé Ionesco », d’ailleurs publiée dans l’Événement du Jeudi avec des fac-similés de ses carnets de notes… Une vraie réussite, cette enquête historico-littéraire. C’est Archavir Acterian, à l’époque âgé de 87 ans, qui a été ma source principale. J’ai rencontré aussi Barbu Brezianu et son épouse et même un ancien condisciple de Ionescu -très jaloux du lycéen précoce et non-conformiste, futur académicien français…

Archavir Acterian se souvenait parfaitement des discussions de leurs vingt ans, des sorties en groupe qui se terminaient souvent dans la mansarde de Mircea Eliade, professeur de certains de leurs amis. Les clowneries d’Eugène Ionesco, les éclats de rire d’Emil Cioran brillaient encore dans ses yeux. Il déployait ainsi devant  moi et pour moi l’immense scène du théâtre bucarestois des années 20 et 30. Archavir Actérian était prolixe, précis et d’une urbanité délicieuse. Il ébauchait en quelques mots le portrait des Emil Cioran, Mircea Eliade, Emil Botta, Petre Tutea, Mihail Sebastian et autres. Parmi tous ces garçons, il y avait aussi quelques filles. La sœur d’Archavir Actérian, Jeni, nous a laissé un journal magnifique. Je l’ai à la main, alors que je passe devant ce fameux numéro 52.  Quelle personnalité brillante ! Quels dialogues mémorables entre elle et Eugène Ionesco ! Je crois qu’ils étaient un peu amoureux. Surtout Eugène, dont personne n’offense la mémoire en racontant –comme me l’a raconté Archavir en ce jour du printemps 1994- qu’il avait à 20 ans un vrai cœur d’artichaut ! Toujours amoureux, toujours se languissant d’amour.

Archavir a utilisé cette expression roumaine à croquer : Eugène était « îndragostit lulea ». « Lulea », c’est une pipe. Dans cette expression, il n’est pas question de bouffarde, mais cela m’avait alors fait sourire… « Lulea », c’est très proche de « lalea », la tulipe, c’est un son très enfantin. Je trouvais que cela allait bien au personnage dont Archavir me faisait le portrait, à travers ses propres souvenirs. Archavir Acterian écrit d’ailleurs dans son propre journal (un beau témoignage, mais moins intéressant que celui de sa sœur) qu’Eugène le tannait avec ses histoires d’amour et qu’un jour il lui fit rencontrer une jeune fille qui était dans sa classe au lycée, Rodica : le début de l’histoire d’amour de toute une vie… et la paix pour son ami !

 

Le tram passe sous la Piaţa Victoriei et refait surface à deux pas de l’appartement où Gabriela Adameşteanu a longuement reçu l’équipe des Belles Étrangères, dont je faisais partie en tant que conseillère littéraire et interprète, en juin 2005. Le petit appartement impeccable, les photos de famille en noir et blanc au mur, la chambre de l’écrivain dont on devinait que le divan était le lieu où de nombreuses pages de roman furent écrites…. Et le tramway qui passe sous les fenêtres. En mars, Marily Le Nir a publié sa traduction du roman de jeunesse de l’écrivain : Vienne le jour, Drumul egal al fiecarei zile, en roumain. C’est un roman de formation. Letitia est le nom de l’héroïne. Elle est adolescente et elle étouffe, entre sa mère et son oncle. L’un et l’autre ploient à un moment ou à un autre sous la roue dentée de l’engrenage dictatorial. Letitia, elle, suffoque tout simplement. Et le lecteur la suit entre deux souffles.