10 janvier 2018. Mercredi.
Je note, p.33, au début du chapitre 4, un bel exemple de « part des anges » dans l’autre sens : Je trouve « acel unic obiect prin care neantul se onorează» dans lequel je dépiste bien sûr le célèbre vers de Mallarmé : « ce seul objet dont le néant s’honore ».

La version roumaine perd inévitablement le double sens de «s’honore» qui s’entend en français comme « sonore », car la conjugaison du verbe « honorer » en roumain se fait par l’adjonction de trois lettres ( – ază) tuant la proximité avec le mot « sonor». C’est un peu de sens qui s’évapore au passage. Mallarmé est si difficilement traduisible ! Je me souviens toujours (et très souvent, je ne sais pas pourquoi) de Cioran qui raconte avoir échoué (littéralement) sur le rivage de Dieppe, à traduire Mallarmé. C’est à ce moment-là qu’il a décidé qu’il écrirait dorénavant en français.
La première rentrée d’un étudiant : « Des fils de la Vierge scintillaient dans l’air, des jeunes filles se pressaient, elles aussi, vers leur université, le monde était neuf et brûlant, tout juste sorti du four, et pour moi seul ! Le bâtiment de la faculté me parut avoir des proportions inhumaines : le hall en marbre désert et froid me semblait une basilique. » L’automne lumineux, lorsque je suis devenue étudiante, c’était à Tours, loin de chez moi. Vision éphémère du souvenir de la Rue Nationale traversée dans l’émotion de la foule trop grande pour moi.
Le secret d’un grand livre est aussi de résonner dans la vie passée de ses lecteurs.
« Funigei », les fils de la vierge, à ne pas confondre avec funingine, la suie. Hasard de la proximité sémantique en roumain de deux mots signant des choses si dissemblables en français.
«…labii şi astrolabii » : ah, garder un peu de l’écho joueur et coquin entre ces deux mots ! J’opte pour « des chairs labiales et des astrolabes » puisque les tristes lèvres du bas manquent de sonorité ! (p34)
…à suivre, demain, même heure

Au chapitre 3, le narrateur évoque son adolescence de grand solitaire et de lecteur absorbé par sa ville, Bucarest. Auto-dévoilement du faux-vrai écrivain : « Telle était la ville que je voyais par la fenêtre de ma chambre sur le boulevard Ştefan cel Mare et que j’aurais décrite inlassablement si j’avais réussi à devenir écrivain, je l’aurais transposée de page en page et de livre en livre, ville sans habitants mais pleine de moi-même comme un réseau de galeries dans l’épiderme d’un dieu (…) ». Orbitor commençait justement par une vision de l’ado devant sa fameuse et désormais culte triple-fenêtre panoramique donnant sur Bucarest…

