
EXPOSITION de photos : Bucarest, mon amour – Trente ans après

Ma Part des Anges, je continue de l’alimenter, avec chacune de mes traductions et, ici, en publiant à leur sujet. Je me suis rendue compte que je n’avais pas parlé ici de la naissance, l’an dernier, de mon second site, consacré, lui, à mon activité photographique. Ici j’écris, là bas je montre. Ce soir, je souhaite vous guider vers ce que vous y trouverez, si vous avez la curiosité d’y aller…
Sur mon site sobrement intitulé Laure Hinckel Photographe je présente des extraits de séries photographiques. Je photographie en noir et blanc, avec constance depuis plus de trente ans. Quand j’ai travaillé en couleur, c’était pour les reportages qui ont paru dans les magazines et les journaux où j’ai vécu ma première carrière, celle de journaliste. Ce matin en cherchant des négatifs de 1994, j’ai rouvert (mais aussitôt refermé) un énorme classeur plein de diapositives et de positifs Fuji ou Ektar…
En 2024, j’ai réussi, avec le soutien de l’Institut culturel roumain, à donner à une série de photos (déjà exposées en janvier 1995 à Bucarest), une deuxième vie et surtout, des soeurs jumelles, à trente années de distance! Ainsi a pris forme le livre, mon premier livre personnel, qui est un livre de photographie, et qui s’intitule Bucarest – Trente ans après.
En ce moment, je travaille d’arrache pied pour donner une nouvelle version à Orbitor – L’aile gauche de Mircea Cărtărescu, pour les éditions Denoël ( j’enchainerai avec Orbitor – Le Corps). Et je prépare également ma première exposition de photographie! Les murs de la galerie Macadam, de l’Institut culturel roumain, accueilleront 9 de mes diptyques bucarestois à partir du 27 mars, jour du vernissage et jusqu’au 1er juin! J’en suis très honorée et heureuse. Il y a trente ans, en janvier 1995, c’était l’Institut français de Bucarest, qui accueillait dans son hall magnifique une quarantaine de tirages que j’avais patiemment réalisés dans ma salle de bain transformée en laboratoire, en utilisant un pinceau pour révéler les photos de mes chères échoppes bucarestoises. En ce printemps 2025, c’est une sorte de boucle de la francophonie qui se noue: nos deux pays célèbrent 145 ans de relations diplomatiques! Je suis très honorée que l’annonce de mon exposition soit faite justement dans le cadre du mois de la francophonie ! Comme il est question de bonnes relations et même d’amour, l’exposition s’intitule Bucarest mon amour, trente ans après!
A très vite, j’espère vous voir nombreux lors du vernissage, le jeudi 27 mars à 19h00 au 1 rue de l’Exposition, Paris 7. Il faut réserver en écrivant à institut.roumain@gmail.com.
Pour voir l’exposition tranquillement, ce sera aux horaires d’ouverture de l’Institut culturel roumain, entre 10h00 et 18h00 du lundi au vendredi.
&&&&&&&&&&&
Sur Facebook :

Olivier Lhostis, libraire et psychanaliste a une émission très intéressante sur Radio grand ciel, intitulée Psychanalivres.
Il m’a fait l’honneur de m’inviter et m’a posé des tas de questions sur la traduction! On peut écouter ça ici (cliquer sur l’image):
Dans l’Echo Républicain, Bassem Shalabi a eu la gentillesse d’annoncer la parution de mon ouvrage (cliquer sur la photo pour lire l’article sur le site du journal) :
Une affaire de zigzag et une plongée en écriture
17 février
A Wuhan, les gens restent bloqués chez eux. Dans Melancolia, c’est le début du voyage du garçonnet. Il emprunte son premier pont. Il en avait déjà vu sans oser les emprunter. J’ai la phrase suivante dont les trois derniers mots font l’objet de cette note :

Photo @Laure Hinckel
« Des dizaines de fois il avait craint de suivre cette voie céleste, parce que, de la fenêtre, tu n’en voyais pas le bout, tu ne le voyais que s’amincir vers l‘horizon jusqu’à ce que la branche descendante, de l’épaisseur d’un fil d’araignée, descende sur les bâtiments care zigzagau orizontul. »
C’est limpide, le verbe décrit le fait d’aller dans un sens et dans l’autre en décrivant un zigzag…
*
Je n’ai toujours pas de nouvelles de ce qui est prévu au Salon du Livre pour faire écho à la sortie de Solénoïde en août dernier… Pas de nouvelles non plus de ce qui est prévu pour les villes invitées, Timisoara et Bucarest. Il y aurait tant de choses à dire et à mettre en valeur par l’intermédiaire des écrivains roumains et de leurs œuvres!
J’ai terminé hier la relecture de ce que j’appelle mon « superbe catalogue de traductions à publier ». Méthode Coué ou pas, j’y vais. Il y a différents genres, des textes plus ambitieux que d’autres. J’ai plus travaillé sur les textes les plus anciens, ce qui est logique, car la traduction a mûri. Je trouve que c’est un beau programme. Je ne dis rien de l’auteur ni du contexte. Cela viendra après. Le lecteur aimera ou pas le texte tel qu’il est. Je ne vois pas mieux pour l’instant, pour susciter l’intérêt des éditeurs pour mes auteurs, pour mon inédit d’Eliade, pour le très beau roman de Matei Visniec, pour celui de Claudiu Florian, Les âges du jeu, pour la romancière Doina Rusti, pour Dora Pavel et ses intrigues psychologiques…
*
L’autre soir, grâce à Hélène Gaudy qui en a parlé à la Maison de la poésie, j’ai découvert, dans le train de retour de Paris, une romancière russe que je place déjà tout contre mon cœur. Lydia Tchoukovskaia a écrit La Plongée, un texte qui évoque, en pleine période stalinienne, une traductrice parlant de son écriture d’écrivain. C’est magnifique.
A suivre, demain même heure
Cliquez, vous défendrez avec moi les librairies de quartier!
Faire un flot et porter un tricot de corps
6 février 2020
J’ai été retenue toute la journée à l’extérieur. Enfin je me retrouve sous la lampe. Pas de musique, c’est le soir, il est tard.
p. 19, dans la maison pleine de silence, l’enfant parle seul. Il se met à neiger, la phrase en roumain resplendit d’une sonore allitération en f : …fulgii furioşi foşneau atît de tare… Heureusement, il est très facile de trouver la formule en français … les flocons furieux frottaient si fort… et j’ai même un f en plus pour prolonger l’effet des trois t de la version originale que je ne peux pas retrouver, eux…
Le seul mot un peu délicat, c’est le verbe a foşni, qui signale un bruissement. La catégorie des bruits est si vaste !
Je ne sais pas pourquoi ce soir il me semble si important que l’on puisse entendre réellement les gros flocons contre le carreau. C’est peut-être parce que je pense aux hivers immenses que j’ai découverts en Roumanie en 1990.
*
p. 20, je retrouve une expression qui est toujours aussi délicate à traduire : cu disperare. Contrairement à l’impression première, il ne s’agit pas de désespoir. C’est plutôt « à toute force », « à fond », « absolument »…
Le petit enfant seul chez lui passe le temps avec trois petits jouets, Hubert le clown, un petit cheval et un chat en bois. Vivement colorées, les trois figurines à hauteur du regard de l’enfant (dont j’imagine la tête arrivant juste au niveau du plateau de la table) semblent aimanter toute la couleur disponible à l’intérieur de l’appartement qui pâlit alors que la journée hivernale avance vers le soir.
Je tente « comme des perdus ». Le phénomène est personnalisé, les jouets sont les acteurs de cette phrase : ils happaient comme des perdus les couleurs qui semblaient avoir disparu de tout autre objet.
*
C’est la série des faux-amis. P. 24, les praline sont des berlingots, car les berlingots peuvent être remplis de quelque chose de fluide, alors que les pralines sont d’ordinaire formées sur une amande ou une arachide.
Je note tout ça au passage et je me dis que c’est peut-être dommage de ne noter que ces risques d’aspérités, ces questions résolues alors que le texte est d’une délicatesse extrême. Il est aussi fragile que la croûte en sucre du berlingot, tout en transparence et en finesse.
*
Retour p 28 de « Impudique mort » de Dagmar Rotluft !!! Quel canular que ce livre qui n’existe pas et qui pourtant hante les livres et les interviews de Mircea Cărtărescu !!! Pendant longtemps j’ai cru qu’il existait. Il existe dans l’imaginaire fertile de l’auteur. C’est peut-être dans un univers parallèle qu’un moteur de recherche serait capable de trouver cet auteur et son roman au titre qui fait tellement roman-photo.
*
P. 33, il y a une magnifique vision qui parlera à tous ceux qui ont vécu cette époque où plein d’enfants jouaient et se battaient parfois au pied des immeubles. Le petit enfant n’arrive pas à rentrer chez lui après avoir emprunté le premier énigmatique pont nocturne.
Il lève la tête vers le balcon de leur cinquième étage, là où, se souvient-il, ses parents, comme les autres parents, se tenaient en tenue d’intérieur et surveillaient parfois, d’en haut, leur progéniture en train de jouer sur le béton ou l’asphalte.
Les pères étaient en maieu tetra : un maillot de corps en tricot, c’est-à-dire en côtes de coton (deux mailles endroit, deux mailles envers). J’aurais pu dire un marcel, éventuellement. Peut-être un peu trop un marqueur d’un univers typiquement français. Alors non. Si ça se trouve, en plus, c’est une marque déposée. Comme le nom roumain tetra.
Je me demande si on peut encore dire « porter un tricot de corps« . Je sais que moi, je dis ça. Mais je dois me garder de mes expressions sorties de mon enfance lorraine ! Combien de fois cela m’a joué des tours. Faire des flots (des nœuds de rubans ou des torsades de laine dans les cheveux), saisir la clenche (pour la poignée). Ce ne sont que quelques exemples…
Tous ces mots que j’utilise, moi, et que je ne peux pas utiliser dans une traduction, je les utiliserai un jour là où ma liberté sera encore plus vaste. Dans un texte à moi.
Je vais me coucher après avoir engrangé presque 22000 signes. Ça commence à fonctionner.
La suite lundi, même heure
Cliquez, vous défendrez avec moi les librairies de quartier!
Point final… « à l’abri des terrifiantes étoiles »
Une année de traduction de Solénoïde. La fin de mon journal.
21 novembre
L’ivresse de la course. Il me reste neuf pages à traduire! Je regarde derrière moi comme si un autre coureur de fonds me talonnait. Le tournis. Je ne cesse de scroller en tous sens. Je vérifie et revérifie des termes récurrents. Elle est tellement évidente, la démultiplication de nos possibilités, permise par l’outil informatique. Scoabe de fier, centrul de butelie, halat, aur topit, molie, sifonarie, cângi, aprozar, alimentara, Pelikanol (c’est notre colle Cléopâtre, fabriquée à base d’amidon et avec un parfum d’amande amère!), Petrosin… Des mots anodins qui requièrent mon attention. Et je pense à un Dictionnaire Cărtărescu. Comme une carte littéraire de son univers à travers ses thèmes, ses lieux, ses personnages et ses objets parfois (souvent) récurrents. Je me rends compte que je n’ai rien écrit au sujet de la traduction du fameux lada studioului. Un juteux exemple. Ce sera pour une autre fois.
Il me reste neuf pages, demain je commencerai la relecture finale. Il me faudra resserrer les boulons, comme on dit dans notre jargon. Corriger des milliers de fautes de frappe. Prendre encore plus de distance critique avec ce que je choisis d’écrire pour donner une forme française à ce merveilleux texte. Je sais que cette relecture ne sera que la première. Une fois ma version envoyée, je continuerai à relire et il y aura ensuite la relecture de mon éditeur. Et, je le sais aussi déjà, qu’elle pointera des corrections à faire. C’est le jeu. Heureusement, je sais qu’elles seront limitées. Mais elle est là, la nouvelle trouille, après celle du bien faire pour l’auteur : que ce que j’ai écrit en traduction plaise à ceux qui liront. Car mon éditeur sera finalement le premier francophone à découvrir par lui-même les personnages, l’histoire, la pensée, toute la chair de l’oeuvre intitulée Solénoïde. Et il aimera ou pas. Je sais déjà que je serai dans mes petits souliers tant que je n’aurai pas un bon retour de David.
Mais d’abord, finir. Il y a eu l’époustouflant chapitre 45. Des jours et des jours à 18157, à 18354, à 17700, à 18468 signes dans la journée. Parfois seulement 3653 signes, comme le 9 novembre, lorsque j’ai dû aller à Orléans pour rencontrer les responsables de l’association Tu connais la nouvelle? On va travailler ensemble sur une tournée d’écrivains roumains en région Centre en 2019. J’espère que cela sera du sérieux.
Et puis il y a les préparatifs de la Tournée des traducteurs que je partage avec Cristina Hermeziu. Notre première étape sera à Beaune, début décembre et il y en aura huit ou neuf en tout durant les six premier mois de l’an prochain, le temps de la Saison france-Roumanie. Recréation de la conception des affiches, avec mon idée d’une France vue du haut d’une montgolfière, et nos étapes marquées par une petite manche à air rigolote que j’ai tracée à l’aquarelle… De la respiration dans mon marathon.
Le chapitre 45, donc, est l’étonnant voyage du narrateur dans la peau d’un acarien, d’un sarcopte de la gale dans la main de Palamar. Jeu fractalique des mondes et des visions imbriqués, marque de fabrique de M.C. Le très grand se reflète dans l’infiniment petit et vice-versa. Tout est signe, signal et correspondance biblique dans ce voyage vers une autre dimension, pas au sens de 3e et 4e dimension, mais au sens de taille des univers, voyage dont il revient avec l’amertume de n’avoir pas réussi à délivrer son message : car l’homme n’est pas capable de saisir ce qui est au-delà de lui. Il est réellement aussi aveugle qu’un acarien.
Il y a eu aussi le joli conte des trois cœurs, le cœur de cristal, le cœur de fer et le cœur de plomb, que le narrateur écrit pour sa fille à naître. Et puis, devant la carte de Bucarest, le narrateur marque les emplacements de tous les solénoïdes enterrés dans le sous-sol de la capitale.
Avec tout ça, je suis arrivée au chapitre 49 et j’ai senti que Mircea Cărtărescu voyait lui-aussi le bout de son livre : « Mon monde va prendre fin bientôt, avec la fin de mon manuscrit ».
Si vous ne voulez pas savoir comment se termine le roman, il est temps d’arrêter votre lecture!
Par une journée torride anticipant la catastrophe finale, le couple et le bébé se promènent dans le centre de Bucarest, entrent dans un vieux cinéma pour y trouver de la fraîcheur et là, le narrateur se retrouve devant un film-rêve où il se voit guidé par un enfant dans un tombeau où se trouve le gisant de sa propre mère. Moment de douleur suprême du remord, celui de n’avoir pas allumé de bougie au chevet de sa mère morte pour éclairer son chemin dans l’au-delà. Remord symbole de tous les remords, je le vois comme un appel à accomplir nos actes, ceux qui nous construisent. Tant qu’on ne les a pas accomplis, fût-ce par l’intermédiaire d’un rêve salvateur, ils restent comme une brique manquante, celle qui affaiblit, par son absence, la construction de nous-mêmes.
L’ultime chapitre est à la fois swiftien (coexistence gullivérienne des humains et des assaillants très petits – ici les acariens, c’est-à-dire des araignées), naïf, c’est-à-dire renvoyant à des images iconiques et grand moment d’explication : les veines mystérieuses qui apparaissaient ici et là dans le sol tout au long du roman étaient les points d’alimentation des enfers, peuplés de créatures se nourrissant de la douleur humaine. La vision apocalyptique de la Bucarest en forme de pyramide inversée s’élevant dans le ciel, est une nouvelle Laputa et une vision en creux de l’Enfer de Dante tel que représenté par Botticelli. La double auto-référence est visible dans l’évocation de cette Laputa, peuplée de mathématiciens, comme cette Bucarest recréée autour des pensées mathématiques les plus extrêmes, les plus impensables, les plus poussées aux limites de l’entendement humain, et que le narrateur manipule et interprète à son niveau…
Reprise du poème sublime de Dylan Thomas et vision saisissante, dans la Morgue où tout le peuple des piquetistes s’est rendu une dernière fois avant le décollage de la ville, des dizaines d’hypostases du corps du narrateur, illustration de la pensée espace-temps enfermant chaque hypostase de nous-mêmes dans la seconde immédiate, comme une suite d’arrêts sur image. Notre expérience existentielle est une succession de présences corporelles uniques, chacune d’elle côtoyant son double irréalisé. Le narrateur traverse une vaste exposition de ces corps sur les tables d’analyse de la Morgue. Vision non pas mortuaire ni morbide, mais philosophique. Irina, leur nourrisson et lui vont finir leurs jours dans la petite chapelle en ruine découverte dans la forêt, un jour quand ils cueillaient des glands pour les rapporter à l’école 86.
22 novembre 2018
« …à l’abri des terrifiantes étoiles« . Je viens de taper le point final de la traduction. Il est 15h39.
302505 mots. 1 772 737 signes. 21299 lignes.
10 mois et 22 jours d’écriture.
J’ai vécu le calvaire scolaire de la manipulation maladroite des chiffres et des calculs. Noter, avec cette précision maniaque leur interprétation de mon travail a aujourd’hui quelque chose de jouissif, car ils ne disent rien que ce qu’ils décomptent. C’est ma revanche. Ils sont parfaitement univoques. 21299, c’est 21299. Ça ne peut pas être interprété. Seulement décomposé, éventuellement. Pas coloré. Ni mal traduit ni bien traduit. Ni chargé de rêve et de références. Les mots, en revanche…




