Do not cross : au contraire, entrez, vous y trouverez une pépite de la littérature roumaine

J’ai tout de suite eu envie de traduire ce roman qui m’a impressionnée par son souffle, sa
tension.. c’était il y a …. dix ans je dirais.
J’ai été attirée par cette écriture complexe au service de sujets parfois dérangeants. C’était noir et spécial. Le sujet de société qui est abordé par Do not cross et la concision avec laquelle il est écrit m’ont poussée à faire tout ce que je pouvais pour faire connaître cette romancière (qui n’est pas à Bucarest, mais dans la belle ville de Cluj, en Transylvanie).
Dora Pavel use, dans ce roman, d’une plume tranchante qui dissèque avec précision les sentiments troubles et ambivalents de son narrateur.
C’est paradoxal, mais je dirais que son livre est très français !
Il s’attache, en peu de pages, à cerner les failles intimes de son narrateur tout en tendant au lecteur un miroir de la société où l’action se déroule.
J’ai trouvé ce quatrième roman de Dora Pavel très réussi.
Il est impossible de lâcher le livre dès que l’on entre dedans, et que l’on est happé par la voix de ce jeune narrateur racontant sa course en forêt sous la menace de son ravisseur.
Son récit est entrecoupé de souvenirs familiaux et d’analyses de ses propres sentiments qu’il perçoit comme des déviances, à l’aune de la société dans laquelle il a grandi et où l’homosexualité était réprouvée.
Cela n’en fait pas pour autant un livre de genre, car c’est le désir, le désir universel qui est au centre.
De plus, on y trouve l’examen attentif des relations entre deux frères au sein d’une famille divisée par le divorce.
Et que dire des pages s’attachant à montrer les complexes et délicats rapprochements entre un fils et son père? Ce sont des pages déchirantes. Aussi bouleversantes que celles où il est question du frère et de la mère de Cezar.
 
Sous la belle couverture choisie par notre éditrice Marie Barbier :
 

Une affaire de zigzag et une plongée en écriture

La suite du Journal de traduction de Melancolia de Mircea Cărtărescu 

17 février

A Wuhan, les gens restent bloqués chez eux. Dans Melancolia, c’est le début du voyage du garçonnet. Il emprunte son premier pont. Il en avait déjà vu sans oser les emprunter. J’ai la phrase suivante dont les trois derniers mots font l’objet de cette note :

Photo @Laure Hinckel

« Des dizaines de fois il avait craint de suivre cette voie céleste, parce que, de la fenêtre, tu n’en voyais pas le bout, tu ne le voyais que s’amincir vers l‘horizon jusqu’à ce que la branche descendante, de l’épaisseur d’un fil d’araignée, descende sur les bâtiments care zigzagau orizontul. »

C’est limpide, le verbe décrit le fait d’aller dans un sens et dans l’autre en décrivant un zigzag… 

Ici je dois intervenir avec le recul d’une année: j’ai loupé mon coup. J’allais écrire comme dans mes notes de l’époque que le verbe zigzaguer n’est pas transitif, que je suis contrainte d’écrire plus platement « les bâtiments qui déformaient l’horizon »… Mais j’avais tort. Je n’avais pas vérifié, il se trouve que Flaubert a utilisé le verbe zigzaguer dans son usage transitif ! C’est dans la phrase suivante: On avait tendu du linge sur l’esplanade, les cordes où séchaient les chemises du concierge la zigzaguaient dans tous les sens (Flaub., Champs et grèves, 1848, p. 170). Ce cher Flaubert! Dans le regard de l’enfant, la ligne de crête des bâtiments bucarestois forme des zigzags sur l’horizon. J’aurais vraiment pu écrire « …sur les bâtiments qui zigzaguaient l’horizon » et j’enrage de ne pas l’avoir fait. Est-ce que vous  imaginez l’effet de la micro-brûlure que provoque une telle révélation à moi-même?

*

Je n’ai toujours pas de nouvelles de ce qui est prévu au Salon du Livre pour faire écho à la sortie de Solénoïde en août dernier… Pas de nouvelles non plus de ce qui est prévu pour les villes invitées, Timisoara et Bucarest. Il y aurait tant de choses à dire et à mettre en valeur par l’intermédiaire des écrivains roumains et de leurs œuvres! 

J’ai terminé hier la relecture de ce que j’appelle mon « superbe catalogue de traductions à publier ». Méthode Coué ou pas, j’y vais. Il y a différents genres, des textes plus ambitieux que d’autres. J’ai plus travaillé sur les textes les plus anciens, ce qui est logique, car la traduction a mûri. Je trouve que c’est un beau programme. Je ne dis rien de l’auteur ni du contexte. Cela viendra après. Le lecteur aimera ou pas le texte tel qu’il est. Je ne vois pas mieux pour l’instant, pour susciter l’intérêt des éditeurs pour mes auteurs, pour mon inédit d’Eliade, pour le très beau roman de Matei Visniec, pour celui de Claudiu Florian, Les âges du jeu, pour la romancière Doina Rusti, pour Dora Pavel et ses intrigues psychologiques…  

*

L’autre soir, grâce à Hélène Gaudy qui en a parlé à la Maison de la poésie, j’ai découvert, dans le train de retour de Paris, une romancière russe que je place déjà tout contre mon cœur. Lydia Tchoukovskaia a écrit La Plongée, un texte qui évoque, en pleine période stalinienne, une traductrice parlant de son écriture d’écrivain. C’est magnifique.

A suivre, demain même heure

 

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