Passionnantes Palabres centre-européennes, hier soir (jeudi 3 juin) à l’Institut culturel roumain.
Pour la dernière édition de la saison, Alexandre Prostojevic, maître de conférences à l’INALCO et à l’EHESS a présenté les Varia, de l’écrivain et penseur Danilo Kiš.
Le problème de ces Varia? Le reste de l’oeuvre est aujourd’hui indisponible! Alexandre Prostojevic a souligné l’importance et la beauté de ces textes courts, notamment quand Danilo Kiš est le penseur, l’érudit, le grand lecteur. Jean-Pierre Salgas, le griot de ces Palabres a fait chorus : les courts textes de fiction ne sont pas à la hauteur du reste.
Cela rend encore plus triste le fait que sa très belle trilogie Le Cirque de famille ne soit pas encore réédité. Pour apprécier les Varia d’un grand homme, il est préférable d’avoir lu son oeuvre, non?
(Varia, traduit du serbo-croate par Pascale Delpech, préface de Jean-Pierre Morel, Paris, Fayard, 2010.)
(L’image ci-contre provient d’un site consacré à cet écrivain yougoslave. Ce n’est pas en français, mais on y trouve des documents, des photos….Cliquez sur l’image pour y accéder.
Copyright © 1999-2010 Mirjana Miočinović, Predrag Janičić, Aleksandar Lazić. Sva prava zadržana)
L’écrivain autrichien Thomas Bernhard a été présenté par la journaliste et productrice Christine Lecerf, spécialiste de littérature autrichienne. De Mes prix littéraires, traduit de l’allemand par Daniel Mirsky, la critique estime que le titre recèle un « contresens » . Meine Preise en allemand, ce serait plutôt « ce que je coûte », « ce que je vaux ».
(voir ci-dessous le commentaire de Daniel Mirski à cette critique de la critique…)
Certes, « l’écrivain évoque les prix littéraires reçus mais » souligne Christine Clerc, le sens de l’ouvrage, c’est bien « prend l’oseille et tire-toi » : Bernhard, tout en aimant l’argent (il était né pauvre et a été toute sa vie très malade) attribué par les jurys des prix littéraires, narre avec sarcasme les cérémonies au cours desquelles l’ignorance le dispute à la muflerie.
Andrzej Stasiuk, avec Mon Allemagne, traduit du polonais par Charles Zaremba (Paris, Bourgois, 2010) souffre lui aussi (décidémment, c’était le jour!) d’un problème de titre. Selon Maougocha Smorag, le titre aurait dû laisser paraître ce qui à son sens est au coeur de l’oeuvre de Stasiuk : les questions et les problèmes d’adaptation des étrangers en Allemagne. L’écrivain polonais a forcément une relationparticulière à la nation allemande. Et il raconte très bien, d’ailleurs (avec humour), ses propres efforts pour abandonner clichés et préjugés hérités de la propagande communiste.
Il est un grand écrivain de voyage et a beaucoup décrit les réalités de l’Europe de l’Est. Il connaît très bien la Roumanie aussi. Ce que j’ai entendu de lui hier soir me donne très envie de le lire. Je vais notamment essayer de trouver Fado, entièrement consacré, ai-je compris, à la Roumanie. Mais ses analyses sur le reste de l’Europe et sur le sort des écrivains de la périphérie semblent tout aussi passionnantes.
La transition était toute trouvée pour moi, chargée de présenter ma traduction du roman de Mircea Cartarescu, L’Aile tatouée. En suivant ce lien on trouve plusieurs articles consacrés à l’écrivain roumain.
Comme c’était le jour idéal pour le faire, j’ai commencé par éclairer la question du titre. La trilogie porte, en roumain, le seul titre ORBITOR, soutitré L’aile gauche, Le Corps et L’Aile droite. Quand on sait cela, on perçoit déjà mieux le projet métaphorique de l’écrivain. La trilogie comme trinité, comme hommage à la symétrie parfaite et symbolique du papillon, référence à la nef flanquée de ses transepts, image aussi du trio composé par la mère et ses deux jumeaux. Ce dernier aspect est particulièrement important, puisque l’ensemble du roman peut-être vu comme une quête de la complétude à la fois physique (le narrateur Mircea se sent incomplet, il souffre devant les miroirs lui renvoyant l’image d’un visage assymétrique et il rêve ô combien au frère jumeau dont ses parents ne parlent jamais) et spirituelle (le destin de l’homme sur terre est comparable à celui du papillon à soie : ver grouillant, il doit passer par le cocon de l’introspection et de l’annulation de lui-même pour devenir enfin papillon libre et parfait).
La trilogie est publiée en français chez Denoël sous les titres suivants :
1. Orbitor, traduit par Alain Paruit
2.L’Oeil en feu, traduit par Alain Paruit
3. L’Aile tatouée, traduit par Laure Hinckel
Enfin, c’est une possible très belle découverte dont nous a fait part le traducteur Michel Chasteau.
L’écrivain slovaque Peter Pišt’anek, avec son Rivers of Babylon (en anglais dans l’original), met en scène un rustaud parvenant au poste clé de chauffagiste dans un grand hotel de Bratislava. L’action se passe pendant l’hiver, un des longs hivers de la période communiste. Le chauffagiste joue avec les nerfs des clients de l’hôtel en leur coupant l’eau chaude et le chauffage. Son chantage lui permettra de se faire de nombreux « amis » et surtout, il pourra se remplir les poches.
L’ambiance est burlesque et crue, le langage va avec. Michel Chasteau a lu un passage de la fin où l’on voit le directeur de l’hôtel dévaler les escaliers dans un traineau tiré par des batards des rues et coiffé d’une toque en chat persan : maintenant qu’il sait vraiment ce qu’est le froid, il part vivre auprès des esquimos! C’est amusant en diable. Ca me fait beaucoup penser à un roman du roumain Petru Cimpoesu traduit en république tchèque et qui a fait un tabac, remportant même le prix Magnesia Litera pour son roman Simion l’ascensoriste.