Sur France Culture avec Mircea Cărtărescu le 7 novembre

—- Je rajoute ici le lien pour écouter l’émission : France culture : ici —-
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A suivre, demain samedi à 21h, Mircea Cărtărescu, unique invité du célèbre François Angelier, écrivain et producteur, hôte de l’émission « Mauvais Genres » sur France Culture. 

A ses côtés, l’écrivain Nicole Caligaris et le libraire Jean-Yves Bochet*.

Je n’ai pas assisté à l’enregistrement et serais bien incapable de vous dire quoi que ce soit de plus alléchant pour vous convaincre d’aller écouter un grand écrivain sur une bonne radio.

Mais je peux vous rappeler tout ce qui fait le régal des lecteurs avisés de L’Aile tatouée (et d’eux seulement ! car tout ceux qui ne le lisent pas, ratent quelque chose) :

·       un bildungsroman émaillé de descriptions magiques de l’univers enfantin,

·       un portrait tantôt réaliste tantôt burlesque et ironique de la Révolution roumaine dont on fête les 20 ans cet hiver,

·       un très beau dialogue entre des parents et leur enfant,

·       les aventures tragicomiques d’une nymphomane et de son époux officier de la police politique,

·       un court roman érotique sur les bords enchanteurs du Lac de Côme,

·       la descente aux enfers du frère jumeau du héros,

une réflexion philosophique, de passionnantes évocations des biosciences et de la poésie de bout en bout…

ps : L’émission n’aurait pas eu lieu sans l’interprétariat en simultané assuré par Mariana Cojan Negulescu.

Et l’émission pourra être réécoutée à partir de demain soir, en podcast, sur le site de France Culture.


* Jean-Yves Bochet et Brigitte Schwarz sont des libraires des vrais, et leur antre, c’est L’Iris noir, 4 rue Trousseau à Paris. A fréquenter absolument, quand on habite dans le quartier!

Rue de la Révolution!

Il est arrivé, je l’ai reçu hier matin! Et j’ai lu avec grand plaisir les 20 textes composant le recueil…  20 textes pour les 20 ans de la révolution roumaine et un titre excellent trouvé par les compères Dan Lungu et Lucian Dan Teodorovici : en français, cela donnerait Rue de la Révolution, n°89, comme 1989.

Ils sont personnels, directs, rythmés, jamais larmoyants. Ils relatent avec sincérité une expérience qu’il est très souvent difficile de partager – le retour à la liberté.
Les auteurs étaient éparpillés dans le monde, à l’heure des événements. Ils ont vécu l’instant en Roumanie ou à distance, avec leur propre bagage d’expériences, les uns très jeunes, les autres ayant déjà la profondeur de vue de ceux qui ont traversé les deux totalitarismes du XXème siècle.

Il y a les professionnels de la chose écrite et les artistes visuels, dessinateurs et danseurs. Dix-huit auteurs de langue roumaine et deux fantaisistes écrivant ici en roumain (Jan Willem Bos que je salue et moi-même). On y trouve de l’humour, de la tension et même quelques scoops (l’histoire du grand type de Moscou qui a failli… (allez lire la suite!)).

Ce recueil offre une vision vraiment complète des manières de percevoir un événement d’ampleur mondiale, un fait historique dont tout le monde a ne serait-ce qu’un vague souvenir. Une jolie expérience à mentionner dans la pléïade de livres qui paraissent au sujet de ces 20 ans de la chute du Mur et des régimes communistes.

Dialogue avec Brancusi… et Aphrodite

Pour conclure mon évocation de la très belle soirée poésie de samedi, voici les poèmes de Ion Pop, de Magda Carneci et de Ion Muresan ( le troisième dans un post séparé, pour cause de longueur à ne pas dépasser…).

Un poème tiré du volume La Découverte de l’oeil, de Ion Pop:

Brancusi a décidé

Comment cela est arrivé, je ne puis le savoir,
Brancusi m’est apparu et m’a dit
qu’il avait décidé d’intervenir
et de me ciseler.
Je te ferai comme Fondane, m’a-t-il dit –
il avait une crinière de cheveux flottants
sur son front trop ridé, mais moi,
je la lui ai effacée avec une gomme énorme –
il n’est resté de sa tête
qu’un ovale, l’Origine du Monde.
Je pense redessiner ta tête
et les yeux seront très vides, pour qu’on puisse y mettre
presque Tout. Et des mers, et des terres et des nuages.
D’autres hoses
ne sont pas nécessaires. Puis, il s’est retiré.

Attention, Ion Pop, prends garde,
ce qui t’arrive maintenant n’est que la préparation, que l’attente polie du Maître.
Nombre de choses te quittent, tombent sous un ciseau invisible
de nouvelles eaux te lavent du vieux sang,
les fruits déjà mûrs tombent des fleurs qui viennent d’éclore,
la feuille de maintenant , la pierre d’aujourd’hui s’effritent,
au-dessus de spasmes et d’angoisses la lumière
essaie d’envelopper des visages blancs.
Tout ce qui pue en toi tout ce qui se gonfle
sera parfum et marbre.
Retiens cela, Ion Pop, maintenant et toujours –
c’est un grand, inéspéré honneur
que Brancusi lui-même
ait décidé d’intervenir
et de te ciseler.

Traduit du roumain par Stefana et Ioan Pop – Curseu. Editions MEET Saint-Nazaire.

Un poème que Magda Carneci a tiré d’un recueil (si j’ai bien compris inédit) de poésie politique (j’aime beaucoup)

Les travaux d’Aphrodite

Le matin arrive en hurlant, le fouet de la lumière dressé
au-dessus de chaque couple   qui flotte dans les eaux blanches du lit,
millions de corps      noués dans l’amour
pourtant le désespor de la fin      prédestiné à l’éternelle journée de travail;
ils baignent dans la sueur froide de l’aube        corps contre corps
dans le grand corps du monde       prédestiné à l’éternelle journée de travail.

Il suinte toujours par-dessous les portes noires, de fer,
le sang qui vient des usines où l’on empaquette la souffrance
et dans de minces ruisseaux       il déferle dès le matin sur la ville
prédestinée à l’éternelle journée de travail.
Le cri des sirères est plus aigu     plus aigu    plus aigu
mais personne n’est encore réveillé.
Arrive de loin l’odeur douceâtre des abattoirs de chair à canon
de viande pensante prédestinée à l’éternelle journée de travail.
Les travaux d’Aphrodite, les travaux du corps contre le corps,
corps à corps        peinant à ciseler la forme encore balbutiante
d’un nouvel homme nouveau à venir
il se façonne maintenant dans chaque couple
cruellement raidi dans l’amour          avec le désepsoir de la fin.
Et lui, le nourrisson sacré et humide, le grand nourrisson salvateur
sa venue sera pourtant étrange, surprenante
comme l’est un verdict incompris, dans une lettre dangereuse,
jetée au bas de l’entrée, à côté du journal du matin,
comme l’est une petite boîte de conserve venue d’ailleurs, au nom alléchant
remplie de dynamite et d’apocalypse.

Elle nourrira à satiété     c’est sûr    elle transformera
toutes les bouches, tous les cerveaux, tous les corps
avidement noués dans l’amour   avec le désespoir de la fin:
ils baignent encore  les myriades d’hommes et de femmes
dans la sueur froide de l’aube, dans les eaux blanches du lit,
aveuglés par l’extase, l’horreur et la colère
prédestinés à l’éternelle journée de travail.
(1979)

Traduction : non communiqué…

Les poètes disent la vérité – Travaux en vert de Simona Popescu

Comme promis, je vous donne à lire ici les poèmes dits samedi dernier à la Maison de la poésie à Paris.
Je commence par Simona Popescu: ces textes sont tirés d’un formidable petit livre édité ce mois-ci par les éditions Phi de Luxembourg : Travaux en vert.
Simona Popescu explique, dans une courte préface, combien son travail est précis et concret, à mille lieues des pensums évanescents qui étouffent plus qu’ils ne nourrissent. Elle utilise la métaphore de la vigne, qu’il faut ébourgeonner, éclaircir, écimer, rogner, effeuiller… Toutes opérations culturales d’autant plus nécessaires que la vigne (le public étouffé, lassé, éloigné de la poésie par de fausses notions) est plus sauvage.
En ce qui la concerne, son vignoble la mène dans les travées de la faculté de Lettres où elle enseigne, à Bucarest. Son « plaidoyer pour la poésie » (sous titre de Travaux en vert) n’a donc rien de pleurnichard: c’est tonique, écrit parfois en plusieurs langues, taggué d’impressions pop, bercé de références musicales… Bonne lecture!

 

 

 

Les poètes disent la vérité

Ion Pop, Magda Cârneci, Simona Popescu et Ion Mureşan autour de Jacques Darras à la Maison de la poésie à Paris

Cinq poètes samedi soir, sur la scène de l’amphithéâtre de la Maison de la Poésie. Quatre poètes roumains autour du poète français Jacques Darras, pour une des rencontres dédiées à l’Europe. J’étais dans la salle (où se trouvaient aussi les poètes Dinu Flamând et Sebastian Reichman), et j’ai pris en notes, pour vous, les meilleurs moments de la soirée.

Les présentations et les questions générales étant faites, Jacques Darras s’émerveille du nombre de poètes dont s’honore encore la littérature roumaine contemporaine. Il parle de « générations spontanées », chacun y va de son hochement de tête, oui oui des poètes comme s’il en pleuvait et « le Roumain est né poète ». Là, Simona Popescu, que  l’on sait peu encline au lyrisme et au larmoiement jette son pavé dans la mare : « La poésie est morte ». Ion Mureşan la contre immédiatement. Sa théorie : « La société est comme un organisme humain, quand il y a infection, il y a sécrétion d’anticorps. La société malade sécrète des poètes. La société roumaine n’étant pas encore saine, elle sécrète encore de nombreux poètes ».
Jacques Darras penche, perplexe, les deux hémisphères de sa chevelure impeccablement blanche vers Ion Mureşan: « Un pays sans poète serait exempt de maladies??? Un pays sans poètes est mort!  Il est guéri, certes, mais drôlement guéri! »
Magda Cârneci pense, elle, que les poètes « sont les cellules sociales et sensibles de la société: ils sont des cellules rares, utiles et très spéciales qu’elle sécrète pour son avenir ».
Ion Pop file la métaphore pour évoquer le désamour du monde éditorial pour la poésie: « Encore faut-il qu’il y ait des microscopes pour dépister ces cellules… Comme partout ailleurs les tirages baissent énormément… mais nous avons en Roumanie encore le temps de faire quelque chose. »

La discussion, passionnante, sans le moindre temps mort, contient aussi une excursion dans l’histoire littéraire roumaine et notamment celle du XXème siècle avec ses Roumains avant-gardistes dont tant de poètes et d’artistes européens sont aujourd’hui le fruit.
Jacques Darras mentionne d’ailleurs à juste titre « nous venons de vous entendre citer 10, 15, 20 grands noms de symbolistes et de post-symbolistes, mais pourquoi n’avons-nous pas d’histoire littéraire roumaine en français?? »

Un dialogue nourri autour de l’expression de l’absurde, des considérations très sensibles au sujet du tournant historique de 1989… La soirée défile grand train et il ne s’agit pas d’oublier les lectures. Simona Popescu la bucarestoise (ci-contre en 2005) et Ion Mureşan (ci-dessus, l’autre soir) le « clujéen » (les habitants de Cluj ont-ils un nom en français???) sont assez rarement à Paris. Et Ion Pop, ce poète et critique de grande classe qui a publié récemment un essai chez Maurice Nadeau n’est pas si souvent présent ici. Quant à Magda Cârneci, elle  assume brillamment la direction de l’Institut culturel roumain de Paris et ce n’est pas si souvent qu’on l’entend lire ses textes…

Magda Cârneci lit trois poèmes d’un cycle « politique » et elle justifie son choix : « pour que l’on se souvienne ». Les travaux d’Aphrodite, Place Matache Song et Au milieu de la ville.

Ion Pop lit La colère des pierres et Brancusi a décidé.

Simona Popescu lit Song à trente-sept ans, un extrait de Doina et Sanguineti.

Quant à Ion Mureşan, il nous offre le spectacle de son poème Le verre.

Chacun lit en roumain et Jacques Darras fait une lecture – très bonne, très juste, quel plaisir!!- des traductions françaises.