En résidence de traduction – 2 – Bucovine

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Le nouveau roman de Savatie Bastovoi, les épreuves de l’Hôtel Universal de Simona Sora, La Medeleni, un livre pour enfants, dans le cadre de la résidence offerte par le Musée de la littérature de Iasi…

Du travail pour l’été… De quoi nourrir le programme de ma résidence, voici ce que montre cette photo. Ce qu’elle ne montre pas, ce sont les belles conversations que nous avons chaque jour. Je vis chez un écrivain, une romancière. Et de quoi parlons-nous sinon de livres, d’écriture, d’engagement, et d’art du vivre-fort à l’écrit? Roberto Bolaño nous occupe particulièrement. Je me rends compte que je dois le lire, à présent. Les détectives sauvages est un livre qui vous subjugue, me dit mon hôtesse, Jela Despois, plus connue sous son nom de plume Doina Jela. La vie vous offre de ces raccourcis… Je me souviens très bien de son livre Telejurnalul de noapte. Mais ce recueil de chroniques n’est rien à côté du travail monumental autour de la mémoire du communisme et, surtout, de l’époque des tortionnaires. Il faut avoir le coeur bien accroché et l’âme bien trempée pour recueillir le témoignage d’un homme qui a torturé et tué des dizaines de prisonniers politiques, ce qu’elle a fait, entre autres, dans Drumul damascului – Le chemin de Damas, éditions Humanitas 1999.

Que je vous rassure, je ne passe pas la totalité de mes journées à travailler. Je laisse le texte travailler tout seul pendant que je m’oxygène en parcourant les montagnes alentour… à la recherche de champignons. Et c’est comme avec les hommes, il y en a des bons et d’autres qui sont un poison:

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Une petite girolle tapie dans la mousse. Elle a fini dans la casserole.

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Ce drôle de champignon, bien entendu qu’il est resté sous sa branche de sapin. Mais il est beau, on dirait une sorte de corail jaune.

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La fameuse amanite des manuels. Dangereuse autant que belle. Pas touchée. Juste admirée.

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Lui, je ne connais pas son nom. Mais quelle beauté! Il a vraiment la couleur de l’argent. Ou du mercure, tient. Il est resté au pied de son arbre.

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Les gens d’ici les appellent les « piquants » et ne les mangent pas. Ici, les gens ont le choix : entre les girolles, les bolets et les cèpes qu’ils ramassent par kilos entiers en défiant le danger que représentent les ours et les sangliers, pourquoi iraient-ils manger ces champignons-là?

 

En résidence de traduction – 1 – Bucovine

« Lieu pour se reposer et fumer ». J’ai souri et je me suis conformée. Enfin, reposée, parce que pas question de fumer… Le banc tourne le dos à la rivière, la Slatioara qui donne son nom au village, un lieu perdu dans les contreforts des Carpates. Je croise peu de gens…

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Ah si, il y a des enfants! Ils arpentent la route blanche sur de grands vélos ou font des barrages avec des galets dans le lit du torrent. Ou alors, ils cueillent des champignons. Ce soir, trois d’entre eux prenaient le frais devant une grande maison. A presque 100 ans d’écart, ils peuvent faire penser aux petits héros du livre dont je traduis un grand extrait dans le cadre de cette résidence offerte par le Musée national de la littérature de Iasi!  La Medeleni est un beau récit de l’enfance. Son auteur? Ionel Teodoreanu.

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La promenade quotidienne, dans ces alpages de l’Est carpatique, à la fin d’une grande journée de traduction, elle donne ça aussi :

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Et ça aussi :

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Un prix pour Le Marchand de premières phrases!

J’étais plongée dans la traduction d’un nouveau livre quand j’ai appris que Le marchand de premières phrases venait d’être primé par le Festival Littératures européennes de Cognac! Il reçoit le Prix Jean Monnet. Grande joie de voir un écrivain accéder à un prix littéraire grâce à mon travail,  grâce à ma traduction! Matei Visniec écrit son théâtre en français mais tous ses romans dans sa langue natale, le roumain. Je suis heureuse aussi que ce prix récompense la persévérance de Jacqueline Chambon, notre éditrice, qui depuis des années a publié des auteurs roumains et qui voit enfin un premier livre traduit de cette langue récompensé par un prix. Voir aussi l’article dans Actualitté.

Lisez ce qu’écrit le président du jury, Gérard de Cortanze :

« Dramaturge, poète, journaliste à RFI, Matei Visniec est aussi romancier. Si le jury Jean Monnet de littérature européenne a récompensé son roman, Le marchand de premières phrases, il a aussi voulu mettre en valeur une oeuvre tout entière tournée vers la défense des idées et du Savoir comme moyen pour l’homme et de s’élever et de lutter contre l’obscurantisme. Situé dans un monde désincarné, où l’informatique, les logiciels, les algorithmes, la dématérialisation ont remplacé l’écriture et celui qui la produit – l’écrivain -, Le marchand de premières phrases fait oeuvre salutaire. Lorsque le personnage inventé par Matei Visniec, Guy Courtois, propose aux écrivains en mal d’inspiration de choisir la première phrase de leur livre, puisque désormais ne compte que le commencement, il ne fait rien d’autre que de dénoncer l’absurdité du monde dans lequel il vit. Cette société imaginaire, qui n’est pas sans rappeler les univers élaborés par Orwell ou Borgès, est un peu la nôtre. Ecriture baroque, narration foisonnante, thématique puissante, érudition joyeuse, rires et larmes, lucidité et part nécessaire de romantisme, Matei Visniec met en scène la chute de l’homme et nous donne les armes pour l’enrayer. »

Ce livre, c’est l’oeuvre d’un auteur que j’aime, un auteur de grand talent, un humaniste et un homme de convictions, aussi.

Ce livre, pour lequel j’ai âprement plaidé, est sorti en janvier 2016.

Ce livre, c’est aussi une création. Comme une mère devant les premiers pas de son enfant, je tremble quand un livre part dans le monde : sera-t-il chahuté en public? Oublié dans un coin de la cour de récréation? Deviendra-t-il un adulte triomphant?

Ce livre, il est aujourd’hui primé. Je sais qu’il a déjà trouvé une belle place dans le coeur de nombreux lecteurs.

Je fais un cadeau aux lecteurs de ce blog : la très belle dédicace que Matei Visniec inscrivit sur l’exemplaire roumain de son roman, Negustorul de începuturi de roman: « Pour Laure Hinckel, qui protège la littérature roumaine de deux ailes, grandes et françaises ».

C’est moi qui le remercie de pouvoir les déployer largement.

 

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Emission Marque Page au sujet du « Marchand de premières phrases » de Matei Visniec

Et pour compléter la vidéo du jour, voici ce qu’a écrit Margot Schütz, libraire chez Payot dans le canton de Sion (on voit qu’elle a aimé!):

« Lors du cocktail organisé par un éditeur pour les lauréats d’un concours littéraire, le narrateur rencontre un redoutable casse-pieds. Celui-ci se présente comme « marchand de premières phrases », sa fonction étant d’assurer le succès commercial du roman à venir, encore larvé dans l’imagination de l’écrivain, en lui délivrant cette fameuse première phrase, gage de réussite de tant d’œuvres majeures de la littérature mondiale ! Notre romancier en herbe, peinant à la rédaction simultanée des chefs-d’œuvre qui se bousculent en tempête créative sous son crâne, se voit donc harcelé par les courriers de ce camelot, expert à se faufiler dans les zones disponibles du cerveau d’un jeune littérateur. Cela vous fait penser à un phénomène contemporain ? Bingo ! Voici votre ticket pour un superbe moment de lecture avec Matéi Visniec, expert en théâtre de l’absurde, qui s’écarte ici avec bonheur de la scène pour laquelle il écrit en virtuose. Un « roman-kaléidoscope » érudit, kafkaïen et ironique sur notre époque narcissique ! »

Un joli caillou au bout de mon pied

diversionsJ’ai plein de trucs à faire. Vous savez, du genre qui ne sont qu’investissement et confiance dans l’avenir. Lire des livres roumains, tomber amoureuse d’un seul, le proposer, en parler, faire une fiche de lecture, hésiter, en prendre un autre, se dire que finalement oui le premier est le bon. Prendre des nouvelles d’un roman en cours d’écriture, là-bas, à 3000 km d’ici mais tout près de mon coeur. Relire un texte qui a pris la couleur transparente du verre, depuis le temps qu’on l’a laissé reposer. Et à côté de ça entretenir le réseau, ce feu qui éclaire la caverne et empêche de s’oublier tout seul. Parfois on éteint le feu et on aime bien se retrouver tranquille : on peut se le permettre quand les journées ne sont plus haletantes et hâchées, quand elles s’offrent dans leur plénitude. Alors on peut se consacrer à l’écriture, à l’étude, à la traduction.

Tout ça pour dire qu’entre toutes ces activités de confiance en l’avenir, je m’offre des petits moments de balade sur le net. Et je viens de trouver à mes pieds un joli caillou qui s’appelle Manoeuvres de diversion et que l’on trouve ici. Je vous laisse découvrir le fou de musique et de littérature qui propulse ses « Cartes postales du jour » sur un blog Hautetfort… C’est bien écrit, éclectique et riche. Le modèle de photo est aussi très intéressant. J’ai remarqué récemment plusieurs sites qui font preuve d’inventivité à ce sujet. Un livre posé entre deux fleurs, sur un escalier ou sur une couverture au crochet sur le blog d’Eva bouquine.

Yann Courtiau a rédigé le 10 février dernier une « Carte postale » sur un 33T russe et comment il est arrivé sur son bureau à Genève…. On a même droit à quelques paroles traduites de ce groupe d’électro-pop  :

Il passe son temps à lire
Ou à observer longuement le soleil
Les femmes ne l’intéressent pas
Il dessine sur le sable des cercles benzéniques.
Il veut apprendre à résoudre des problèmes
À répondre à la question « Être ou ne pas être »
Et, plongé dans ses calculs et ses schémas,
Il synthétise une manière de vivre
Le constructeur, le constructeur

Je vois tout à fait le lien qu’il a fait avec Le Marchand de premières phrases… « Il passe son temps à lire »…

Je cite Yann Courtiau: « …  il y est question d’une quête, celle de la première phrase, puis de celles des romans de Kafka, Camus, Thomas Mann et beaucoup d’autres encore ; il y est question aussi de souvenirs familiaux, de début d’un roman fantastique, d’une rencontre amoureuse dans une librairie en désordre, d’un logiciel d’écriture de romans et de bien d’autres histoires encore pour avoisiner la douzaine de récits sans rapport les uns avec les autres et qui s’entrechoquent au fil de ce livre qui est en définitive un éloge à la littérature dont le contenu jubilatoire est follement addictif. Bravo aux éditions Jacqueline Chambon de prendre le risque insensé de publier un tel livre – livre qui est comparable dans sa forme (pas forcément dans le fond, bien sûr) à des objets littéraires insolites comme l’ont été, pour ne citer que quelques noms et m’adonner ainsi à la facilité plaisante du « name dropping », Vies et opinions de Tristram Shandy de Laurence Sterne, Pétersbourg de Biély ou encoreUlysse de Joyce. En effet, ce labyrinthe littéraire qu’a fabriqué Matei Vișniec s’adresse aux bibliovores, qui, au contraire des amateurs de fastfood littéraire, aiment relever des défis en forme de courses d’obstacles, avec cette satisfaction stimulante qu’est la certitude que ce livre bien particulier s’inscrira en eux de façon définitive…« 

Il faut lire le reste de la chronique sur le site. Merci pour cette réconfortante diversion. Je retourne au travail…