La vie quotidienne en Roumanie sous le communisme

1989 – 2009 : vingt ans
pour comprendre

Reportons-nous vingt ans en arrière: janvier 1989, qui aurait cru alors que nous verrions, en l’espace de quelques mois, tous nos repères géopolitiques bouleversés? Le « rideau de fer » s’ébranler? Vous avez tous encore en tête le souvenir de ces milliers d’Allemands de RDA qui se rendaient en foule à Prague, à Varsovie et même à Budapest, pour demander l’asile aux ambassades d’Allemagne de l’Ouest, comme on disait. Des images vues à la télé. De hauts murs pris d’assaut.  Des enfants qu’on hissait. Un été pas comme les autres, avant un automne qui a changé notre vie à tous.

Ces régimes qui semblaient devoir durer une éternité, qui osait croire en leur démembrement? En dehors des dissidents, des activistes des droits de l’homme, des membres des associations multiples et vaillantes, en dehors des journalistes fameux qui se rendaient sur place, dans des circonstances périlleuses, pour rencontrer des syndicalistes – puisque les syndicats étaient interdits- ou des écrivains auxquels on avait ôté le droit de publier, qui parmi nous (j’avais vingt ans et cette partie manquante de l’Europe m’était totalement inconnue), qui parmi nous imaginait qu’avant la fin de l’année, la liberté serait retrouvée? Qui? Certainement pas les premiers concernés et parmi eux, les Roumains. Dans le système policier particulièrement pervers mis en place de longue date dans ce pays, le monde semblait immobile, gravé dans le marbre. Ceausescu renversé ? Il fallait être fou pour y croire.

 

2009, c’est l’année idéale pour lire cet ouvrage ! Au long des 14 contributions que vous pouvez lire dans le désordre selon vos centres d’intérêt, vous vous donnerez une idée des ressorts psychologiques des individus dans une société totalitaire.

Il y a des chapitres sur la peur, d’autres sur la censure et sur la « culture de la pénurie ».
Des événements particuliers sont analysés avec le bénéfice du recul et de nouvelles sources d’informations, ce qui donne des textes particulièrement riches.

Je mentionne en passant celui de Ruxandra Cesereanu, sur les tentatives de soulèvement des mineurs en 1977 et la révolte des ouvriers de Brasov, en 1987, deux événements suivis d’une très rude répression – et dont, en Occident, nous n’avons bien sûr eu qu’un écho extrêmement limité, à l’époque.
Lavinia Betea revient sur la terrible loi anti-avortement de 1966 dont les femmes n’ont commencé à parler, avec les difficultés et la douleur qu’on peut imaginer, que très tard.
Et puis l’affaire de la « Méditation transcendantale », racontée et analysée par le directeur de l’ouvrage, Adrian Neculau, prend une épaisseur particulière puisqu’elle est racontée par les protagonistes eux-mêmes et par ceux qui ont souffert directement de cette répression.

Ce ne sont que trois des 14 contributions. Je vous laisse découvrir les autres.

 

Et je vous souhaite une excellente année 2009 !

 

 La vie quotidienne en Roumanie sous le communisme, sous la direction de Adrian Neculau, préface de Serge Moscovici, édition française établie par Laure Hinckel, collection « Aujourd’hui l’Europe », L’Harmattan, 2008.

Traduire les fleurs


Le plus délicieux cauchemar du traducteur?

Hum… peut-être l’imagination échevelée des langues vernaculaires, quand il s’agit de donner un nom aux plantes et aux fleurs…

Attention, j’ai dit cauchemar, mais surtout, « délicieux »…

Je me régale à plancher sur les mots qui font obstacle.

Imaginez mon air perplexe lorsqu’il m’a fallu trouver, mais surtout vérifier ( bonne maladie journalistique héritée de mon ancienne vie) quelle plante se cachait derrière le  « cul-de-poule » ou la « fleur-de-maïs »…

J’ai rapidement trouvé qu’il s’agissait du pissenlit, en roumain papadia, en retrouvant le nom latin de ce cauchemar des jardins bien comme il faut.

Et là, j’ai trouvé que les Anglais sont descriptifs et surtout, qu’ils nous ont piqué les mots du pissenlit qu’on appelle aussi « dent-de-lion »: chez eux, c’est « dentalion », comme en portugais, par exemple dente-de-leão ou en allemand Löwenzahn

Mais alors, pourquoi pas de « dent-de-lion » en roumain?

C’est vraisemblablement parce le mot est arrivé par la langue grecque… παπαδιά signifie « épouse de prêtre orthodoxe ». Cela remonterait à l’époque où, pour les membres du petit clergé, très pauvres, le pissenlit était une plante de choix, dont ils faisaient de la soupe. Mais il y a peut-être une autre explication que j’ignore.

Juste, pour finir, quelque chose d’étrange: en turc, on retrouve « papadia » sous la forme de « papatya », et là, il s’agit de camomille. Allez comprendre.

Tour d’Europe en deuch

Faire une boucle :

« Ni aller ni retour, mais trajet. Longer une côte, rejoindre une montagne. Contourner une mer. Traverser une steppe, remonter vers le nord. On ne va pas « à », on passe « par ».  »

Beaucoup de visages, dans les salles de signature, au café littéraire, à l’auditorium et autour des tables des libraires…. Et sur les murs de la Salamandre à Cognac, des photos. En noir et blanc. De grands tirages ayant souvent un point commun : une Acadiane qui trône au beau milieu du paysage. Elle se pose là, la Deuche, la Deux pattes, si vous préférez. Cette coquille de noix, ses propriétaires Olivier Laporte et Soizic Drogueux y ont installé deux couchettes et ont poussé cette bonne vieille mécanique dans un tour d’Europe. Des fous. De beaux fous, ces deux là. J’adore ça. Un couple mi-musicien mi-écrivain, plus une belle part de talent photographique qui fait exploser le tout.

Regardez, voici quelques unes des photos d’Olivier Laporte. Il a aussi un bon bout de plume, ce voyageur. Quelque chose de pointu comme son visage. Quel sera l’éditeur qui leur proposera d’en faire un livre?

« Grand Bazar d’Istambul »  © Olivier Laporte

Saint Basile Moscou © Olivier Laporte

Littératures européennes – Cognac

Vive les critiques qui lisent les livres!

« Voyage au coeur de la société » : avec un intitulé pareil, tout était possible, et surtout le pire. Heureusement, Eric Naulleau fait partie de ceux qui, dans la profession et même loin des sunlights lisent réellement les livres des auteurs qu’ils reçoivent.

Ce fut évident, dimanche, au dernier jour de Littératures Européennes, à Cognac. Alors, exit les questions bateau. Pas trace de généralisation à outrance.

Réaction de Dan Lungu à l’issue de la rencontre: « la question de la nostalgie paradoxale, qui est au coeur du roman Je suis une vieille coco !, a très rarement été si bien perçue, même en Roumanie ».

Bien entendu, j’étais aux premières loges (tout à côté de Dan et juste un peu en retrait) pour apprécier le canevas serré des questions, qui toutes faisaient mouche et donnaient loisir à l’auteur de répondre. Un vrai plaisir, d’avoir à traduire des réponses intelligentes, directes et franches. Comme on dit, « à bonne question, bonne réponse ».

 

Le regard du modérateur était tout aussi aigu pour interroger Patrick Pesnot (Les secrets de la Françafrique) et Adriaan Van Dis dont Dan Lungu et moi-même étions flanqués sur scène.

Le Promeneur de M. Van Dis vous paraîtra encore plus savoureux, quand vous saurez pourquoi le romancier a imaginé un chien pour mener son personnage dans l’envers du décor parisien… Adriaan Van Dis a un Nez. Il fait partie de ces personnes qui ont un sens de l’odorat particulièrement développé. Alliée dans le même homme à une vaste culture, à une grande courtoisie, à une éloquence pleine d’humour et toujours subtile, cette perception-là donne une nouvelle dimension au monde. Dans un livre, promener un chien qui fourre sa truffe partout, c’est une manière de se trouver « au cœur de la société ». Renifler la merde et la beauté, cela a déjà été fait. Mais, comme dit Baudelaire…

Quelques jours à Cognac

 

Erlend Loe, lauréat du Prix Jean Monnet des Jeunes Européens, signe Muleum.

A un saut de TGV de Montparnasse – Angoulême. A trois pas d’Angoulême – les Littératures européennes en grand rendez-vous annuel à Cognac… Tout ce que j’aime – quand que je ne suis pas penchée sur une traduction. J’ai laissé derrière moi un manuscrit inédit de Cioran – presque fini. Mais j’ai emporté le vertigineux Orbitor de Mircea Cartarescu, ce troisième tome de la trilogie composant un roman-monde. Quelques unes de ses pages vont se dédoubler, ici, aussi – dans le calme de la chambre d’hôtel et entre deux rencontres avec des lecteurs… de Dan Lungu.

C’est pour lui que je suis à Cognac. Je suis une vieille coco! fait partie de la sélection du Prix Jean Monnet des Jeunes Européens, en ouverture du festival qui dure quatre jours… et les traducteurs sont conviés aux côtés des auteurs. Également sélectionnés et présents : l’Islandaise Eva Minervudottir pour son recueil de nouvelles Pendant qu’il te regarde, tu es la Vierge Marie accompagnée de sa traductrice  Catherine Eyjolfsson et le Norvégien Erlend Loe pour son roman Muleum traduit par Jean-Baptiste Coursaud.

 

Nous rentrons juste de l’auditorium de la Salamandre (l’emblême de François 1er est omniprésent dans la ville) et même si Dan Lungu n’est pas le lauréat de cette édition, nous nous sentons tout légers, tout portés par ce que nous ont transmis ces lycéens du jury et leurs professeurs: la prose légère comme l’air de la fine Eva, les tribulations aéroportuaires de Julie, l’héroïne norvégienne d’Erlend Loe et l’humour de l’Emilia de Dan les ont également conquis.

Un drôle de grand écart, tout de même, ces lectures des confins de l’Europe! Et pourtant, ce sont 260 lycéens de 8 établissements de la région qui ont les ont lus, qui ont argumenté en faveur de l’un ou de l’autre, débattu lors de réunions d’étape pour arriver finalement à un vote et à l’attribution de leur prix. A cette fin, cent exemplaires de chaque roman ont été achetés par les organisateurs et distribués aux élèves. Bel effort.

Comme de juste, voir les écrivains en chair et en os, c’est le summum. Quand on est lycéen, qu’on a passé le premier trimestre à lire en classe, pouvoir demander « en direct live » « mais où trouvez-vous vos idées? », c’est épatant; les interroger sur l’étrange choix d’une héroïne quand on est un homme (hein, pourquoi?) et même se montrer interloqué par un roman « écrit dans le désordre », c’est pas beau, ça? Et puis, on peut les retenir en aparté, les écrivains, à la fin de la rencontre, voler un moment d’intimité lors de la dédicace pour souffler en deux mots l’admiration qu’on n’ose pas revendiquer devant les copains…

 

Le prix Jean Monnet des Jeunes Européens va à Erlend Loe et à son roman Muleum. Il faut le lire, ne serait-ce que pour fondre de tendresse et de mélancolie, à la toute fin du roman, quand on apprend pourquoi l’héroïne elle-même a choisi ce titre étrange. Et plonger dans l’ouvrage sur papier rose -aisément identifiable, comme tous les livres de l’éditeur Gaïa- permettra de comprendre les mots du traducteur Jean-Louis Coursaud répondant, tout à l’heure, sur scène, devant les lycéens, à une question sur la difficulté de son travail de traduction de ce livre : « ne pas se laisser atteindre par la désespérance du personnage. Ne pas se la prendre en pleine face ».

 

Le titre de ce billet, d’où je le tiens, vous dites-vous. Pour tout Cognaçais qui se respecte, c’est d’un banal!

La « part des anges » est ce volume éthéré qui flotte dans les rues d’ici et se perd à jamais.

J’en ai humé une petite partie. Et j’aime à penser qu’un peu de cet esprit volatile transporte l’intérêt des lecteurs vers nos confins littéraires si exotiques.

 

 

Ci-contre, Dan Lungu signe Je suis une vieille coco!