Bucarest – Chronique d’été 1

Vendredi 12 juin

Bucarest. Plus de deux ans que je n’ai plus parcouru la ville. Des années que je ne l’ai plus fait l’été. Soleil de juin, lumière toujours aussi riche et tendre le soir à 18 heures: richesse des reflets dans les vitrines; profondeur des gris multiples des huisseries dont la peinture s’écaille en contorsions baroques; tendresse de la respiration des tilleuls, enivrante et palpable.

J’ai soif de renouveler mon stock d’images de Bucarest. Et d’après ce que j’ai vu depuis le car entre l’aéroport Otopeni (pardon, il faut dire Henri Coanda!) et le centre ville, il y a du changement.

Des auteurs roumains à la Tübinger Büchenfest

Où étaient Dumitru Tsepeneag, Mircea Cartarescu et Dan Lungu ces derniers jours? Avec leurs livres récemment traduits en allemand, à la Tübinger Buchenfest qui s’est déroulée du 22 au 24 mai.
Le joli roman de Tsepeneag est traduit par Ingrid Baltag, que je recevais l’an dernier (dans un groupe de 17 traducteurs de 14 pays, pour les premières Rencontres internationales de traducteurs de litérature roumaine)… Par ailleurs, Dumitru Tsepeneag est aussi le président de l’Association des traducteurs de littérature roumaine à l’origine de ces Rencontres..
Et le livre conserve outre Rhin son joli titre français La Belle Roumaine…
Celui de Dan Lungu, c’est amusant je trouve, est carrément traduit Die Rote Babuschka. C’est différent de Je suis une vieille coco! mais peut-être tout aussi provoquant, en allemand. J’espère que le traducteur du roman, Jan Cornelius, a pris autant de plaisir que moi à le traduire…
Quant au titre du recueil de nouvelles de Mircea Cartarescu Warum wir die Frauen lieben, il ne souffre d’aucune ambiguité. C’est bien Pourquoi nous aimons les femmes. Et je suis certaine qu’Ernest Wichner a plané, comme moi, sur les ailes de la prose de cet auteur à l’imagination exceptionnelle et au souffle incroyable.

Trois poèmes de Florin Iaru

Parmi tout ce que j’ai fait au salon du livre, il y a cette traduction de trois poèmes de Florin Iaru (prononcez « florin’ Iarou »). C’était imprévu: le poète roumain s’était déplacé à Paris, notamment pour la présentation de l’anthologie Des Soleils différents qui publie un extrait de son premier roman, à paraître à Bucarest et intitulé Noir… et devait lire, le samedi, quelques poèmes sur le stand de la Roumanie (c’était tout à côté de l’immense stand du pays invité, le Mexique).
Il lui manquait quelques traductions. Me voici donc, vendredi soir (nuit) dans le train, à traduire trois poèmes que je venais de choisir parmi plusieurs autres.

Vous me direz, mais qu’est-ce qui lui prend? Il me prend que j’aime le caractère ludique de ses poèmes, leur air de ne pas y toucher : on aperçoit derrière un funambule en équilibre précaire, et on retient notre souffle.

Avec l’accord de Florin Iaru, les voici :

Vers énergie

Comme il glisse joliment l’électron –

demoiselle d’honneur

à ombrelle de soie

quand lui,

le jeune

le pâle amoureux

l’aperçoit, et le voilà sur ses pas –

le mouchoir glisse de soie entre eux-

les passereaux pépient –

la parentèle à les pensées apaisées, au sortir du prêche-

tout est rêve et harmonie-

et l’aveugle, de bonheur jette son bâton

et le boiteux, de bonheur jette son bâton

et le roi, de bonheur jette son bouffon

et la mort, de bonheur jette son hameçon

et l’hydrocarbure, de bonheur jette son carbone –

vers le bord

comme il glisse joliment l’électron !

 

Est éthique
Je sais, vous ne me croirez pas, mais ce matin,

J’ai vu Todor Jivkov aux légumes, au marché.

Bon citoyen, ravi par les tomates et les poivrons.

A ses côtés, Janos Kadar contrôlait la volaille,

les coqs, les oies, les chapons,

mâle ou femelle ? et les dindons.

Il ne semblait pas même me voir,

occupé qu’il était à expliquer, en expert, le prix au détail

à Honecker exposant sa crème et son beurre.

Près de l’étal, Brejnev Leonid, avec un succès fou

vendait la chair tirée du canon

vendait les plants de hêtres, russes et véritables.

A côté de Husak, on aurait dit deux connétables

Et ce dernier, ne vous moquez pas,

Vendait de la cuisse ou de la hanche parfumée… et tchécoslo-vache.

Le cousin Jaruzelski ne s’en laissait pas conter

Avec sa production –petite série- de lunettes en os.

Tous proprets, à visage humain, tous, ensemble,

Dans la même coopérative du

Travail bien fait. Et à la place d’honneur

Trônait dans sa blouse reprisée, parmi poinçons et anciens couteaux,

Un génial cordonnier frappant à petits coups sur les clous.

Je sais, vous ne me croirez pas, mais le monde leur souriait

Et eux souriaient jaune au monde.

Et sur le jaune des murs, le soleil brillait.

Larme et animal
Un arbre me demande :

-Hé, toi le barbu, pourquoi la mort ?

Arrive un animal :

-Hé, toi le barbu, pourquoi la mort ?

Et un oiseau

(se battant pour exister) :

-Hé, toi le barbu, pourquoi, pourquoi ?

Et un nerf de bœuf

lancé dans les photographies de l’enfance :

-Pourquoi forcément la mort, hé, toi le barbu !

disent-ils tous, tristes

de me voir aller par des chemins perdus…

Puis il arrive lui aussi,

Rusé roux

goupil.

Il souffle un souffle ardent près

de ma gorge

Et dit,

Pensif :

-La mort… hum, qui sait ?

Et une larme tombe sur mon épaule de verre.

 

Rencontre de blogueuses

J’ai été dure à la détente, mais finalement, ça y est, la voici, la photo de la mémorable rencontre qui a eu lieu en marge du Salon du Livre! L’initiative appartient à Géraldine et nous nous sommes amusées à la jouer incognito, cette photo souvenir. Enfin, à moitié incognito. Nous avons donné à nos échanges sur la toile et de blog à blog un petit plus d’humanité. Mais après tout, quand on parle de livres, on est toujours très près du coeur, tout près de l’âme, n’est-ce pas les filles?

Des soleils différents

Des Soleils différents et de la métaphysique pas banale… 

 

Le Salon du Livre de Paris est l’occasion d’une première, côté Roumanie : le CENNAC récemment créé – équivalent de notre Centre National du Livre- sera représenté au salon (Stand Y83 ).
Le CENNAC, par ce stand, « ouvre au public francophone une porte vers la diversité et la richesse de la littérature roumaine contemporaine ». Diverses rencontres avec des auteurs roumains (voir le programme plus bas) sont aussi l’occasion, pour l’homologue roumain de notre CNL, de promouvoir ses programmes d’aide à la traduction.

 

C’est un événement, car fonder de toutes pièces une institution aussi importante pour l’éconimie du livre était une nécessité et un défi: le voilà relevé.

Le stand CENNAC organise trois signatures d’ouvrages publiés avec le soutien de l’Institut Culturel Roumain :
-l’anthologie Des soleils différents (co-édition L’inventaire / Balkans Transit)  présentée par la romancière Gabriela Adameșteanu, par Laurent Porée (l’âme du festival Insolite Roumanie 2008 en Normandie) et par les poétesses Rodica Drăghincescu et Linda Maria Baros

-le numéro spécial « Poètes roumains contemporains » de la revue Confluences poétiques
Vienne le jour (Gallimard, 2009) de Gabriela Adameșteanu, roman dont parleront l’éditeur Jean Mattern, le critique littéraire Daniel Cristea-Enache et la traductrice Marily Le Nir.

Un autre livre (que je ne connais pas) et paru chez Vrin sera  également présenté. Il s’agit de l’ouvrage d’un disciple de Heidegger, Alexandru Dragomir (1916-2002) : Banalités métaphysiques. Sa personnalité et ses écrits seront évoqués par le philosophe roumain  Cătălin Partenie et la traductrice Michelle Dobré.

Enfin, il y a un album, publié chez Michalon (qui fait d’ordinaire de très jolies choses):  Roumanie. Réminiscences (Michalon, 2008)  de l’artiste photographe Liliana Nadiu.