L’Ombre de Camil Petrescu à Bucarest

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Quelque part dans le roman de Camil Petrescu Madame T., le héros accablé par la canicule pénêtre dans une cour étroite, aux accents populaires. Le ciel est festonné de galeries vitrées résonnant d’échos domestiques.

J’ai eu l’impression de mettre mes pas dans ceux du fameux héros, en ce jour de chaleur vibrante écrasant Bucarest.

Il y a d’abord eu un long corridor chaulé. J’avais été attirée par l’éclat d’une porte vitrée, tout au fond du tunnel. Chaque petit carreau de la porte était un oeil. Etranges yeux, car certains permettaient de voir de l’autre côté, dans la cour. D’autres reflétaient mon regard curieux. Le damier de miroirs et de vitres poussiéreuses m’a retenu longtemps. Une partie de moi  est confisquée par cet endroit.

Madame T., trad. de Jean-Louis Courriol, 1998, éditions Jacqueline Chambon. Le titre original du roman est Patul lui Procust, « Le lit de Procuste », 1933.

Le n°2 de Seine et Danube est disponible !

Je vous invite à lire le deuxième numéro de la revue littéraire consacrée à la traduction française des oeuvres roumaines.

Chaque trimestre, la rédaction de Seine et Danube met à disposition des lecteurs francophones des extraits de textes roumains fraichement traduits par les membres de l’Association des traducteurs de littérature roumaine.

Chacun des neuf auteurs présentés dans cette édition mérite le détour.

Claque garantie à la lecture du monologue d’Alina Nelega, dramaturge présentée et traduite par Mirella Patureau.

Emotion et une autre type de claque à la lecture de quelques pages du journal de Jeny Acterian, beau personnage de femme, artiste et intellectuelle au destin tragique, dont Nicolas Cavaillès nous livre quelques pages.

Humour et regard acerbe sur la société, avec Dan Lungu, dont je présente un extrait du prochain roman à paraître chez Jacqueline Chambon à l’automne et avec Le Chauffagiste de Carmen Firan, présentée et traduite par Marily Le Nir.

La poésie aussi pousse le lecteur dans ses retranchements. « C’est une chose bien connue : les mots attirent le réel » nous dit Mircea Barsila dans la traduction de Linda Maria Baros.

Quant à la chère Marta Petreu, ses poèmes vous mettent l’âme à vif. Et on la remercie, n’est-ce pas? Car il faut travailler à se raboter les cals de l’âme et du coeur.

Benjamin Fondane et le poète surréaliste Urmuz sont aussi présents dans cette édition. Helène Lenz a traduit trois essais sur l’éducation. A lire d’urgence dans ces temps où l’homme semble avoir tout simplement refusé l’idée de transmission. Et puis Urmuz, sous la plume traductrice de Magda Carneci, c’est la fantaisie pure. Le tout est chapeauté par l’éditorial de Nicolas Cavaillès…

Il y a pour la première fois, aussi, une page consacrée aux échos des traductions publiées en français, avec une liste des livres publiés l’an dernier et en ce début 2010. C’est Dumitru Tsepeneag lui-même qui se charge de nous informer…

Bonne lecture à tous. Vous entrez dans le numéro 2 en cliquant sur cette saisie écran : 

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Mini-reportage : il y a 20 ans, les mineurs terrorisaient Bucarest

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Petit retour dans le temps. Il y a une semaine, alors que je parcourais les rues de Bucarest à la recherche de nouveauté, de souvenirs et de coins à photographier, je suis descendue par le passage de l’Université.

Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est un immense passage sous le rond-point de la place du 21 décembre 1989. Il dessert en croix les quatre coins de la place, évitant aux piétons de se faire écraser sur les boulevards qui ont tout, désormais, d’une voie rapide. Il sert aussi à descendre dans le métro de Bucarest.

En surface, dans le sens des aiguilles d’une montre, vous voyez le musée d’histoire et d’art de la ville de Bucarest dans l’ancien palais des Sutu, les statues des grands hommes, le boulevard de la Reine Elisabeth, l’Université avec sa fontaine et sa place non officielle « libre du communisme », le Boulevard Balcescu, l’Hotel Intercontinencal, le théâtre national, le boulevard Charles I et l’arrière de l’hopital Coltea flanqué de sa mignonne église. Et au centre, sur le rond point, un bel aménagement floral.

Le passage de l’Université, je l’ai connu, du temps de ma vie à Bucarest, c’est-à-dire pendant dix ans, sombre, assez sale et aucun des escaliers roulants des quatre sorties ne fonctionnait. Les bouquinistes et les vendeurs de petits riens occupaient le bas des machines roulantes dont on ne pouvait que constater l’immobilisme, les marches défoncées, les crémaillères noircies, figées dans le camboui. Au fil du temps, plusieurs magasins et cafés s’étaient installés sur le pourtour du passage. Il y avait au moins une boutique de sous-vêtements, une autre d’accessoires de coiffure. Et une sorte de bar. Au centre, dans les derrières années, il y avait un fast-food agressif. Ce que je regrette, finalement, ce sont les trois bouquinistes.J’y ai acheté mon dictionnaire roumain-français de Frédéric Damé, 1897.

En descendant dans le passage, ma surprise a été grande. Clair, immense, lumineux. Plus une seule boutique. Quelque chose est prévu, toutefois, puisque des espaces commerciaux sont tout prêts. Et puis, derrière des banderole rouge et blanches de chantier, des parois vitrées pour de futurs plans interactifs et tactiles.

 

L’objet de mes visites répétées dans le passage, durant ces quelques jours de vagabondage bucarestois?mineur couche

 

Une exposition remarquable, de photos immenses prises pendant les trois jours de terreur imposée par les mineurs de fond descendus de la vallée du Jiu, à l’appel du pouvoir, pour « mater » le sit-in prolongé des manifestants sur la place de l’Université. Ce moment est resté dans les mémoires sous le nom de « minériade » des 13-15 juin 1990. Les photos sont accompagnées de textes rédigés à la main, de couleur claire sur du papier noir: les témoignages des blessés, des personnes battues, incarcérées sans motif pendant des semaines, des adolescents enfermés en maison de correction…. Et puis il y a l’histoire de ceux qui ne peuvent plus témoigner parce qu’il ont reçu une balle dans la nuque ou qu’ils ont été battus à mort sur le pavé de Bucarest.

Devant les photos, des Bucarestois consternés. Les mous sont expressives: la tristesse, le souvenir ravivé de peurs atroces.EXPO2

Souvent, les expositions placées dans les lieux publics se trouvent là en vain car le passant ultra comtemporain n’a pas le temps, il parle à son iphone, il fonce tête baissée vers son métro. Dans le passage de l’Université, les 13, 14 et 15 juin 2010, 20 ans après les violences, les bouches se délient facilement. Les épaules se haussent et les bouches s’incurvent.

Les yeux brillent. Les visiteurs de l’exposition ne sont pas pressés. Ils lisent les panneaux en entier. Ils devisent devant les gueules noires. Un seul regard de côté, un seul pas suffisent et la conservation s’engage. « Oui, j’étais là », « oui, j’ai vécu ces moments-là ». Les plus jeunes qui n’ont pas eu à se terrer pour échapper à la fureur des mercenaires lisent eux aussi les témoignages, regardent les photos. L’impression que ça fait? « J’ai la chair de poule », « j’ai l’impression que ça fait soixante ans mais c’était il y a seulement 20 ans ».EXPO4

Et puis je croise le regard embué de Cornelia. Blouse hibiscus, lunettes, parlure lente et calme. « Oh, je rentrais avec une amie à la maison. J’étais passée par chez une tante à moi et elle m’avait donné des pommes de son verger. Quand on a vu le groupe d’une vingtaine de mineurs, on s’est fait toutes petites. J’ai toujours ma carte d’identité sur moi et j’allais leur montrer, parce qu’il ne fallait pas les énerver. J’ai montré ma carte, mon amie aussi, mais avec réticence. Elles ont fait le tour de tous les mineurs. Ca a pris un temps fou. On en menait pas large. Finalement, il nous ont rendu notre carte d’identité et j’ai eu l’idée de prendre une pomme dans mon filet de la tendre au premier. Il a refusé, l’air horrifié, en disant « non, elles sont injectées ».EXPO6CORNELIA

Ce court témoignage rappelle aussi combien ces mercenaires d’occasion étaient endoctrinés. La paranoia des fruits et de l’eau empoisonnés par les « ennemis ». Le syntagme est typique. Il m’a frappé, ce témoignage, par sa véracité. Et la mémoire à vif, qui retient même les mots employés par les instruments de la terreur, vingt ans auparavant.

Le choc est grand entre la réalité du passage souterrain et celle de l’extérieur. En ces jours de juin caniculaires, Bucarest est d’une grande beauté. La lumière est tout à fait particulière. Les corps sortis de l’hiver sont beaux et s’exposent. La musique emplit les placettes de plusieurs endroits de Bucarest, le samedi et le dimanche.  Le palais miniature de la rue Visarion s’écroule avec grâce, tout chevelu d’acacias. Le tramway de la ligne 21 glisse à 23h. dans un décor irréel. Je frôle des ornements de passementerie végétale dans un quartier perdu, quelque part derrière l’église Saint Georges. Le jour ne veut pas s’éteindre dans les ruelles de Lipscani rénové, agréable, si ce n’était le bourdonnement incessant et insuportable des malheureuses vuvuzelas des écrans plats aux terrasses des cafés… Le choc est grand entre le flot pétillant de spectateurs heureux à la sortie d’un spectacle sur Carmen et la griffure mémorielle de ces photos qui ont 20 ans.

La Veuve joyeuse, des airs de violon, des magnolias en fleur versus le silence des pas dans le souvenir des cris.100612_192332.jpg

Sur cette photo : le théâtre national, le soir du 14 juin 2010. Au premier plan, une stèle en mémoire du sit-in de la Place de l’Université réprimé dans le sang.

 

Toutes les photos m’appartiennent. Merci de me contacter avant utilisation.

Dans les allées du Bookfest Bucarest

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Quelques photos qui se passent de commentaire. De beaux stands, des tas de beaux livres et de romans intrigants. Des vedettes du monde littéraire et des débutants. Le public au rendez-vous.

Pour la petite histoire, il faisait très bon dans les allées du salon, alors qu’à l’extérieur les températures frôlaient les 40 dégrés. L’expresso était excellent dans tous les points de rendez-vous. On trouvait à déguster des mici à l’extérieur. Et les fumeurs passionnés se retrouvaient en petits groupes volubiles sous les parasols.

l y avait beaucoup de bonnes affaires à réaliser. J’ai trouvé un dictionnaire d’argot et j’ai enfin sur mon bureau L’Histoire de la littérature roumaine des origines à présent par Calinescu. Certes, cela a été publié en 1941.  L’édition est un facsimilé de l’édition originale. Chouette.

J’ai aussi trouvé des ouvrages exotiques sur le stand du Musée du Paysan roumain (un incontournable des visites bucarestoises). Comptez tout un paquet de nouveautés et quelques ouvrages pour enrichir mon fonds… Je craignais de dépasser les 20 kilos de bagages!

 

Les 20 ans d’Humanitas

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Le 20ème anniversaire des éditions Humanitas est un événement dignement fêté au Salon du livre de Bucarest, le Bookfest… avec la publication de 20 livres et de nombreux lancements en quelques jours. Samedi 12, c’était la cohue. Signatures, présentations de livres, rien que du beau monde. Iimpossible de faire deux pas sans rencontrer une connaissance, un ou une amie, un auteur que j’ai traduit ou que je souhaite traduire.

Pour l’occasion, les éditions Humanitas ont publié ou réimprimé 20 livres. La liste est très intéresssante :

Aniţa Nandriş-Cudla
20 de ani în Siberia (20 ans en Sibérie)

Récit de vie, témoignage. Pour ne pas oublier. Non traduit.

Horia-Roman Patapievici
Zbor în bătaia săgeţii (Vol à l’encontre de la flèche)

Roman initiatique, que j’ai traduit et que j’espère publier un jour.

 

Mircea Cărtărescu
Travesti : publié en français sous le titre Lulu aux éditions Austral. Réinterprété sous forme de roman dessiné par l’artiste Baudouin (éditions l’Association).

Ana Blandiana
Spaima de literatură – La terreur de la littérature.

Recueil d’articles et d’entretiens par une des grandes dames de la littérature roumaine.
Gabriel Liiceanu
Despre limită – De la limite.

Il se trouve que je suis en train de traduire des extraits de ses trois autres « monographies » philosophiques : De la séduction (génial), De la haine et Du mensonge.

Andrei Pleşu
Despre îngeri –
Actualité des anges, tel est le titre que j’ai choisi avec mon éditeur chez Buchet-Chastel pour ce très beau livre dont le sujet est l’Intervalle comme notion philosophique et spirituelle.

Neagu Djuvara
O scurtă istorie a românilor povestită celor tineri – Courte histoire des Roumains racontée à mes petits enfants.
Pas encore traduit.
Mircea Eliade
Jurnalul portughez -Le Journal portugais.

Lucian Boia
Istorie şi mit în conştiinţa românească – Histoire et mythe dans la consicence roumaine.
Non traduit.

Eugène Ionesco
Cântăreaţa cheală. Lecţia. Scaunele. Regele moare – La cantatrice chauve, La leçon, Les Chaises…
Cela fait drôle, de le voir traduit en roumain, la langue de son père…
Ioana Pârvulescu
În intimitatea secolului 19 – Dans l’intimité du 19ème siècle.
Elle est aussi l’auteur d’un très bon roman, avec une héroïne attachante. Entre histoire et intrigue policière. C’est intitulé La vie commence vendredi. Non traduit

Cornel Drăgoi, Elisabeta Rizea
Povestea Elisabetei Rizea din Nucşoara – L’histoire d’Elisabeta Rizea de
Nucşoara : le récit troublant d’une jeune femme qui a aidé la résistance anti-communiste dans les Carpates, tout en espérant qu’un jour l’aide internationale viendrait les sauver. Non traduit.

Alexandru Dragomir
Crase banalităţi metafizice -Crasses banalités métaphysiques.
Parions que ce n’est pas le cas. Non traduit.

Constantin Noica
Rugaţi-vă pentru fratele Alexandru – Priez pour le frère Alexandru.
Non traduit.

Petru Creţia
Oglinzile -Les Miroirs.
Non traduit.

Monica Lovinescu
Diagonale -Diagonales.
La suite de ses fabuleuses mémoires. Non traduit.

Virgil Ierunca
Fenomenul Piteşti -Le phénomène Pitesti.
Traduit du roumain par Alain Paruit avec une préface de François Furet  et publié en 1996 chez Michalon. Livre capital sur l’experience concentrationnaire et la torture dans cette prison de Pitesti d’où tant d’hommes et de femmes ne sont pas revenus.

Emil Cioran
Îndreptar pătimaş – Ce
Bréviaire des vaincus, traduit par Alain Paruit a été le premier livre écrit en roumain par Cioran, à Paris, entre 1941 et 1944.

André Scrima
Timpul rugului aprins – Le Temps du buisson ardent.
Non traduit.