13 janvier 2021
Thrillers, Spillers and Fillers : les jardiniers utilisent cette expression mnémotechnique ressemblant à une formulette, facile à retenir, pour composer des jardinières spectaculaires :
Thrillers: pensez à créer un point d’intérêt, avec des feuillages voyants, une plante érigée peut-être; j’ai noté caladium dans mon carnet;
Spillers, ce sont les retombantes, utiles peut-être pour cacher le bac; evolvulus? scaevola? réglisse?
Fillers : penser à utiliser aussi des variétés qui remplissent les trous… Mandevilla (dypladenia), angelomia?
Inutile de vous dire que ces principes ne doivent surtout pas s’appliquer à la traduction! En revanche, je crois bien que c’est utilisable par les communicateurs lorsqu’il s’agit de doper un texte un peu mou du genou!
Je vois une chose, peut-être, quand même : il est utile de repérer, dans la version originale, les thrillers, ces mots qui sont structurants, qui à la manière des caladiums voyants et colorés si chers à Huysmans, ou du moins à Des Esseintes, forment des îlots de sens. Que les phrases soient longues et sinueuses ou courtes et nerveuses, il s’agit, en premier et meilleur lecteur du texte original, de repérer ces mots ou groupes de mots qui sont des pivots, des îlots, des feuillages colorés – pour poursuivre en bonne jardinière des mots. Et ce ne sont pas forcément des articulations dans la syntaxe, mais souvent des sonorités, des paquets d’allitérations ou d’assonances, le choix est assez large et la nature est tellement riche en sensations.
Quant aux spillers, on en voit beaucoup dans la littérature ronflante, de celle qui cherche à dissimuler la pauvreté du contenant. Enfin, peut-on vraiment critiquer celui ou celle qui a besoin d’un peu de verdure pour combler avec des spillers les espaces vides et arrondir les angles d’une argumentation un peu sèche?
Je m’amuse un peu. Il n’est question d’aucune de ces méthodes jardinières dans Le livre de toutes les intentions. Mais ma vie de traductrice est ainsi faite que je passe de ce roman à mon jardin et à la traduction, aujourd’hui, aussitôt que je l’ai reçu, d’un article écrit par Mircea Cărtărescu à la demande de l’Obs pour le futur supplément Flaubert. Gustave Flaubert, « n’est pas un auteur mais une classe biologique à lui seul, donnant un nombre infini d’espèces littéraires » écrit Mircea Cărtărescu. Je reste dans le biologique, le vert, le vivant. Et je me suis régalée à traduire l’article qui paraîtra sans doute en février*, m’a expliqué Didier Jacob.
Je retourne à Marin Mălaicu-Hondrari, je recherche la traduction française du vers de Trakl « Er aber war ein kleiner vogel im kahlen Geäst » , « Il n’était qu’un petit oiseau sur les branches vides. »
Je cherche aussi, à la page d’après, à bien comprendre la phrase où l’écrivain évoque Alejandra Pizarnik et Virginia Woolf en deux phrases où les pierres sont leur point commun:
De acum încolo era treaba sfinţilor să-i extragă piatra nebuniei. La fel cum treaba sfinţilor e să golească de pietre buzunarele largi ale Virginiei Woolf.
D’abord, je dois me résoudre à comprendre que les « saints » (c’est la traduction du dictionnaire pour sfinţi) sont les anges, et Marin me le confirme assez rapidement. Magnifique image qu’il a inventée là, pour la poétesse argentine, née dans une famille d’immigrants juifs d’Europe centrale et qui a mis fin à ses jours à seulement 36 ans : un de ses célèbres recueils de poèmes est intitulé Extraction de la pierre de folie**.
Et puis il y a « treaba« , qui est l’affaire, le boulot, l’occupation. Je choisis le « job ». C’est dans la tonalité du livre de Marin. Les deux images lourdes et légères à la fois, en deux phrases contenant des sfinţi et des pietre, des anges et des pierres, des anges et des cailloux (oui, j’ai trouvé qu’en français la répétition de pierres en fin de paragraphe, finissant sans finir, sur un e ouvert, aurait nui à l’équilibre recherché) font se contempler les deux femmes, comme dans un miroir:
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