L’été se prolonge un peu, ce serait un temps à faire une balade à vélo, mais j’ouvre les notes de traduction prises dans un fichier bloc-notes au cours de mon travail. J’ouvre aussi mon journal, et même le « journal du jardin et de la cabane de lecture » que j’ai commencé cet hiver, presque en même temps que Le livre de toutes les intentions.
Des traces de mon travail y sont disséminées. Dans mon journal, c’est un peu normal. Dans le carnet de bord du jardin, c’est un peu plus inattendu. Quel elfe de la traduction m’a donc poussée à transcrire, le 11 janvier, entre le signalement de deux plantes, nandina et tagète, les mots envoyés par Claro, éditeur de Marin Malaicu-Hondrari chez Inculte : Kill the keyboard, make it sing! Elan, mouvement, mélodie interne, Le livre de toutes les intentions réunit tout ça et en effet, il me faudrait essayer de rendre cette voix, de faire chanter le texte français: l’encouragement était vraiment bienvenu!
Le hasard fait qu’hier, le 11 octobre, Françoise Wuilmart a publié un de ses intéressants billets sur le thème, justement, de la voix en traduction. Je lui ai aussitôt écrit que je me sentais en consonnance avec ses mots et avec son expérience qui, je suppose, est assez répandue chez nous, les traducteurs. Sans doute que, ce que nous appelons la voix du texte est ce niveau de fréquence vibrant en nous, tel un fil rouge, durant toute la traduction? C’est ainsi que je sens les choses.
12 janvier 2021
7610 signes.
P. 8, première vraie grosse difficulté.
Quatre phrases dont deux nominales. Et L’Insoutenable légèreté de l’être au milieu:
« Sila de a ţine aproape, de a fi conform. Insuportabila uşurutăte a fiinţei, titlul acesta spune totul. Sila de alăturare la tăvălug. Răul de alăturare. »
Une traduction littérale n’aiderait pas beaucoup : « Le dégoût de se tenir proche, d’être conforme. »? Et plus loin « Le dégoût de se tenir au rouleau. Le mal de la proximité ». Cela ne peut rien dire. Qu’est-ce que ce « rouleau »? tăvălug, c’est un rouleau, à pâtisserie… Le sens du paragraphe est sans doute à chercher dans le livre de Kundera. Ce court passage est un éloge de la légèreté telle que le romancier roumain, lui, la conçoit. La légèreté n’aime pas la conformité (et dieu sait combien la conformité a été mortifère dans les régimes totalitaires !), la légèreté, ce n’est pas l’oppression, ni l’alignement.
Le tăvălug, ce rouleau, oui, il est compresseur, il est énorme, il est celui de l’alignement, pour ne pas dire du garde-à-vous, dans la société et dans ce monde. Et alăturare, c’est ça, c’est l’alignement, c’est la position que l’on a lorsqu’on pousse aveuglément du même côté du système oppresseur – mais attention, la phrase n’est pas forcément ou que politique, elle est aussi philosophique : quel est le plus odieux rouleau compresseur? La mort, bien entendu. Dans ce contexte, certains font le tour du rouleau et devancent l’appel inéluctable.
Ce passage conserve un certain mystère. Je l’ai résolu de cette manière, mais d’une manière qui laisse réfléchir au sens, j’espère :
En quelques pages j’ai déjà croisé Kleist, Alejandra Pizarnik, Sylvia Plath, Anne Sexton, Virginia Woolf et Cesare Pavese. Arrive le Bartleby de Vila-Matas (les écrivains du non), et John Berryman, maintenant Kundera. Voici Beckett.
Dans le paragraphe suivant, je trouve une nouvelle acception du « rouleau compresseur » : l’habitude et le kitch auquel peut se laisser aller l’auteur lui-même. Il se tance à haute voix (on l’entend râler, vraiment!) lorsqu’il écrit au sujet de Beckett « qui a démonté l’engin compresseur jusqu’au plus petit de ses boulons » en complétant sa phrase d’un trio lyrique de compléments culminant par des » bouches grouillant en tas »! :
Je vous laisse ce soir avec ça. À la page du 12 janvier de mon agenda, il y avait aussi :
Coléus.
A voir : arbousier Arbutus unedo
abelia
arbre de Judée – cercis siliquastrum
érigéron
senecio greyi Brachyglottis greyi
seneçon de Rowley (collier de perles)
Jardinière avec : – coléus / misère.
À suivre