Coccinelle ou gendarme? Perroquet ou pistolet?

La suite du Journal de traduction de Melancolia de Mircea Cărtărescu

Je veux écrire « neigé » et je me censure aussitôt en me disant que cela n’existe pas, que nins n’a pas d’équivalent en français, que nous n’avons pas de participe passé adjectivé  pour dire « être couvert de neige».

Mais comme j’aime être contredite ! Voici cette note du dictionnaire :

Neigé, -ée, part. passé en emploi adj.Couvert de neige. La crète du Mont-Blanc ne se découvre pas de cet endroit, mais on a une vue distincte de sa croupe neigée, appelée le Dôme (Chateaubr., Voy. Amér., 1827, p.300). Et la neige tomba (…). On ne voyait au loin que chemins neigés (D’Esparbès, Lég. outil, 1903, p.42).

Cependant, ce joli neigé sera transformé en cours d’édition par « couvert de neige », plus courant:

Mais le garçon était là-bas, seul au milieu de nulle part, immobile et neigé, qui regardait vers la maison.

deviendra

Mais le garçon était là-bas, seul au milieu de nulle part, immobile et couvert de neige, qui regardait vers la maison

J’en ai fait mon deuil sans trop de difficulté, tant qu’on ne m’a pas proposé enneigé ce qui aurait été carrément fautif…  Je garde donc le mot neigé pour moi toute seule. 

14 mai, page 110, phrase compliquée :

Zăcea acolo, închisă‑n ea însăși, neputând nici măcar să ţipe după ajutor, asemenea insectelor împachetate‑n pânză de păianjen și lăsate să atârne‑n plasă, fără scăpare, hrană vie pentru păianjenul din centrul marii roţi de fire străvezii.

Elle gisait là, enfermée en elle-même, impuissante même à crier à l’aide, tels ces insectes que l’araignée empaquette dans sa toile et qu’elle laisse pendre dans ses rets, nourriture vivante pour l’araignée au centre de sa grande roue de fils transparents  ou … empaquetés dans la toile et pendus au filet, sans issue, nourriture vivante pour l’araignée au centre de sa grande roue de fils transparents

J’ai la répétition qui m’embête. Vieux problème, et il faut faire avec : en roumain, le nom commun change de physionomie et de prononciation, puisque l’article est antéposé… Les répétitions passent donc mieux… 

J’arrive enfin à cette version que j’espère finale :

Elle gisait là, enfermée en elle-même, impuissante même à crier à l’aide, tels ces insectes pris dans un cocon et suspendus à la toile, sans issue, nourriture vivante pour l’araignée au centre de sa grande roue de fils transparents. 

*

Je reprends après quelques jours dédiés à une traduction d’un texte qui n’est pas édité en roumain et que son auteur voudra proposer à des éditeurs directement dans une version française… Contracter avec l’auteur dans ce type de cas est épineux. J’ai passé quelques temps à régler ces questions professionnelles. 

*

Je retourne un peu en arrière, sur des mots que j’ai notés :

Dans la réalité qui nourrit les œuvres de Mircea Cărtărescu, les élèves dessinent des formes courbes dans leurs cahiers d’écolier à l’aide d’un florar. N’importe quel lecteur roumain comprend de quoi il s’agit. Mais j’ignorais comment le traduire avant d’avoir à le placer dans une traduction… Vous me direz que c’est évident, mais non, car j’ai vu et entendu, dans ma vie en Roumanie, ce florar, sans avoir besoin de mettre un mot français dessus, puisque je savais de quoi il s’agissait.

On utilise donc en français le terme de pistolet de dessin. Dans Melancolia, c’est un perroquet de dessinateur, car on peut l’appeler comme ça. Ni pistolet ni perroquet ne me semblent parfait, mais il faut bien appeler les objets par leur nom… On perçoit l’analogie de forme qui lui donne le nom de perroquet. Pour pistolet, ça passe encore. Mais j’avoue que pour dessiner des formes courbes, l’analogie avec la fleur, comme dans le terme roumain florar  est très belle.

Je termine ma journée en ayant passé le cap de la troisième nouvelle. Je viens de commencer Les peaux. J’ai laissé l’incroyable petit Marcel et la douce Isabel et le terrible renard et surtout, ces incroyables questions d’une intense poésie (pas de cette poésie descriptive et inoffensive mais de cet art violent qui fore dans les couches profondes des roches-mères de la pensée) : « quel goût à la vue », « comment brûle un sourire », « combien coûte la tristesse ».

Je ne sais pas pourquoi le dico franco-roumain dit que Vaca-Domnului est une  coccinelle, alors qu’il s’agit du gendarme. Heureusement que je sais de quoi il s’agit et que ce sont les gendarmes qu’on voit grimper en procession ou pulluler en tas sur les murs chauds… Mais voilà ce qui arrive quand on vérifie toujours par acquis de conscience.

[EDIT] Plusieurs jours après cette publication je me rends compte que cette note ne va pas au bout de la réflexion. Vaca-Domnului signifie littéralement « vache à bon dieu », voilà ce que je devais préciser. La Bête à bon dieu est, en français, le petit nom de la coccinelle, et c’est pourquoi je risquais de faire la confusion, dans un battement d’élytres de coccinelle. Mais pourquoi le nom roumain de Vaca-Domnului désigne-t-il le pyrrhocore, autrement dit le gendarme, aussi appelé le suisse et non pas la coccinelle, comme il serait bien normal? Et surtout, pourquoi donc la bête devient-elle une vache en roumain?! Je ne sais pas répondre à ces questions. Je me contente de m’amuser de ces croisements de sens.

 

 

 

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Les vrais mots étaient d’autres mots

Ces derniers jours, je me suis reposée en travaillant mon jardin. Cinq après-midi consacrés à l’écriture de l’espace : un carré de fruits rouges a été posé comme ponctuation, des allées sont le fil rouge d’une histoire qui se racontera en verveines, en lavandes, en fougères et en lavatères. Il y aura des synonymes, avec des nuances de hostas et de carex: tout un éventail de mots bien vivants. Il y aura des adverbes qui se posent là, acanthes molles et fatsias imposants. Il y aura des mots flous dont le nuage reliera tout de qui se trouve autour: roses, blancs, verts, les verveines de Buenos Aires, les gypsophiles, les fenouils et les aneths indispensables.  Des semis de grimpantes donneront des brise-vent sur des ganivelles. Des boutures de lianes attendent, le pied au frais, la tête au soleil. C’est un jardin dont j’écris la grammaire avant de laisser pousser l’inspiration. 

Mais aujourd’hui, c’est dimanche, je prépare les tranches du Journal que vous lirez dans la semaine.

Et c’est parti pour lundi.

La suite du Journal de traduction de Melancolia

8 mai 2020

La nouvelle Les renards prend une tournure dramatique ( mais je ne divulgue rien) et je m’arrête sur une scène dont la beauté résonne profondément:

Dès qu’elle avait commencé à gazouiller, Marcel avait réfléchi à lui enseigner les mots les meilleurs et les plus vrais qu’il connaissait. Il la distrayait déjà avec l’éternel combat des joujoux, il se mettait déjà en quatre pour la faire rire, mais la parole, c’était autre chose, cela méritait plus d’attention. Il avait pensé pendant des heures à ce que devrait dire en premier la petite fille pour que sa vie prenne du sens dès le début. Il s’était dit que cela ne devait pas être des noms de choses, c’est-à-dire de ce qu’on ne pouvait pas voir. Il n’aurait pas voulu que sa sœur commence, comme tant d’enfants, avec ce mensonge de maman et de papa, car ces mots n’avaient pas plus de sens que cuiller ou mur ou lit ou échelle. Aucun d’entre eux n’avait d’être, ils se présentaient et se défaisaient comme la brume et comme le vent. Les vrais mots étaient d’autres mots. Alors, grâce à l’infinie patience de son frère, soir après soir, en insistant, à force de bouderies et de sourires d’encouragement, de regards complices et de rires de gnome, Isabel prononça en premier le mot chaud, rapidement suivi par vivant. Ils avaient continué avec bleu et profond, ils étaient allés plus loin avec doux et amer.

J’avance vite, mais je m’interromps souvent.

9 mai 2020
Je lis et je traduis, je suis dans les pages 90, chapitre Les Renards.

L’enfant est à la fenêtre, il fait froid, il neige. Et soudain Mircea Cărtărescu écrit que le garçon se cramponne au cadre en bois de la fenêtre, qu’il tremble et que le carreau vibre dans son cadre. Des miettes de mastic desséché s’accumulent sur la partie basse, horizontale. Puissance de l’évocation ! Je sens l’odeur de terre et de pluie quand on a le nez contre un carreau par temps froid et humide. Ce sont mes doigts qui s’agrippent au rebord toujours un peu poussiéreux, un peu mouillé aussi, qui forme une rigole avec un petit trou à une extrémité, là où cela se bouche avec des ailes de mouches, de la poussière et, oui, des petites écailles de peinture ou de mastic ou des deux.
Cette sensation, ce paysage sensitif qui s’impose à moi alors que je traduis ces passages proviennent de très loin. Cela fait de nombreuses années que nous n’avons plus de vitrages simples, plus de fenêtre à châssis en bois. La vision est tellement forte que j’ai envie de dessiner la rigole. Et si je ne trouvais plus trace de ce type de fenêtres ? J’écris ici avant de consulter les archives d’internet. J’hésite aussi : si je saisis des recherches de fenêtres, je me retrouverai dans les jours qui viennent envahie par des réclames pour des fournisseurs de fenêtres… J’abandonne. Ce qui compte, c’est que je viens de fixer, grâce aux mots de l’auteur de Melancolia, quelque chose de plus, à côté de la traduction, avec mes propres mots, et qui fait revivre l’odeur et la sensation de ce carreau froid. Un peu comme un chuchotement entendu dans un coquillage.

*

Toujours vérifier « alama ». Toujours. C’est comme lorsqu’on s’est un jour trompé sur le prénom d’une personne : on va toujours hésiter. Après avoir vérifié des centaines de fois je doute encore. Laiton. Laiton, laiton. Que ça me rentre dans le crâne!

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Depuis lors, le garçon avait peur des statues

La suite du Journal de traduction de Melancolia de Mircea Cărtărescu 

3 avril 2020

De la définition du terme halat : blouse, peignoir, peignoir de bain, voire robe de chambre, robe d’intérieur, ou, soyons fous comme chez Colette, des saut-de-lit – tout dépend du contexte et de la couleur. Ici, à ce point de l’histoire, il s’agit de ces blouses d’hôpital fournies aux jeunes accouchées.

Je suis loin des peignoirs de soie, mais en revanche, il y a un parent de ce halat qu’on retrouve souvent dans les scènes des milieux populaires: c’est le capot. Le mot roumain est arrivé dans la langue par le français et l’italien et, comme souvent, il a voyagé parce qu’il décrivait suffisamment bien une réalité: le capot est un vêtement féminin, long et sans forme. Une capote, quoi…

De la définition de « salon »… d’hôpital. Au fil des traductions je continue de chercher. Peut-on parler en français de « salle » d’hôpital pour faire comprendre qu’il s’agit d’une chambre pour les malades? Autrefois, comme à l’hospice de Beaune par exemple, on parlait semble-t-il de « salle ». Cela ne me semble pas très convaincant… 

Mais ce ne sont que des échos de l’arrière-cuisine de la traduction. Ce qui compte, c’est la beauté de ce texte de Mircea Cărtărescu, qui saisit avec tellement de vérité ce qu’un petit enfant éprouve. Comme par exemple à la page 71 (version française), quand  Marcel va voir sa petite sœur Isabel à la maternité et reste en plan devant un moulage anatomique:

Quand Isabel était venue au monde, le garçon avait déjà cinq ans. Papa l’avait emmené à la maternité pour qu’il voie sa petite sœur. Là-bas, il avait vu une grande salle, avec de nombreux lits blancs en fer et dans chacun d’eux se trouvait une femme en blouse à motifs bleus, avec un tout petit enfant dans les bras. Il avait soufflé de soulagement en voyant que les femmes étaient entières, comme celles de la rue, après que, dans le couloir, juste à l’entrée de cette salle, il avait été stupéfié par une sorte de statue très colorée : une femme en plâtre coupée en deux, si bien que, dans sa tête, on voyait le cerveau coupé lui aussi en deux, un œil rond comme une bille et la langue entre les mâchoires fendues, et, dans la poitrine, les poumons et le cœur tranchés eux aussi, et même toute la colonne vertébrale fendue dont on voyait la moelle entre les vertèbres. Tous les éléments avaient été peints de couleurs pâles, avec du bleu et du rouge et du jaune, et ils luisaient comme les murs laqués de l’hôpital. C’était ce qu’il avait vu aussi à la boucherie, devant les moitiés de porcs pendues à des crochets. Le ventre de cette femme coupée en deux était très grand, et à l’intérieur se pelotonnait tête en bas un petit enfant, seul à en réchapper entier. Il était rond comme un galet, lisse et gracieux dans tous ses traits, sommeilleux et doux. Marcel avait attendu pas mal de temps dans le couloir pendant que son papa, qui n’était déjà qu’une esquisse fugace et trouble, avait disparu dans les méandres du bâtiment, et il avait pensé à l’atroce façon que les enfants avaient de venir au monde : les mamans, ces personnes avec des seins et des cheveux longs, étaient donc fendues de la tête aux pieds pour que l’on en retire l’enfant, comme on ouvre en deux un abricot pour arriver à son noyau foncé.

Depuis lors, le garçon avait peur des statues.

Le thème des statues, un grand thème dans l’œuvre de l’auteur. 

20h00.

2600 signes arrachés avec difficulté à mon esprit lourd et dispersé.

Rendez-vous lundi 1er mars, même heure, après une petite semaine de repos. Et n’hésitez pas à laisser un commentaire!

 

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Glaçons et franges de glace

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16 mars 2020

Le salon du livre de Paris est annulé! Je n’y croyais pas. Ce soir, j’ai eu bien du mal à reprendre le fil de ma traduction après avoir vu que les gens se précipitaient dans les magasins par peur de manquer.

*

Dans Melancolia, c’est le plein hiver, pas comme dehors en ce moment. J’ai ce mot, ţurţure, pluriel de ţurţur, à prononcer tsoutsouré.

Comme caraghios, rencontré un peu plus haut, je le trouve magnifique, ce mot.

Photo L.H.

Il n’est pas facile à traduire, quand il s’agit du « petit bloc de glace de forme allongée et légèrement pointue qui se forme sur les branches ou au bord des gouttières lorsque l’eau qui s’écoule gèle immédiatement », comme dit à peu près le dictionnaire roumain. Car il ne semble pas que nous ayons en français un mot particulier pour ces décorations naturelles… Dans cette note du journal de Solénoïde, j’ai évoqué son autre sens de « frange », et c’est à lire ici.

Le mot ţurţur ne semble pas avoir d’étymologie connue. Tout au plus est-il rapproché de mots évoquant les décorations  – et on en revient aux franges… Des « franges de glace » au toit des chalets, ça pourrait être joli dans un texte, mais un texte sur Chamonix… 

J’ai fini par traduire par « glaçon », puisque dans ma phrase, ce qui compte, c’est le froid glacial et effrayant de la petite main d’Isabel. Et je dois oublier la douce prononciation de ce ţurţur qui aurait presque la morphologie d’une tourterelle…

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Une comptine sur quatre pieds, au lendemain d’un ballet

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11 mars 2020

J’ai en tête et j’ai dans les yeux et même un peu dans le corps le superbe ballet de Malandain, vu hier soir au théâtre de Chartres. Page 73 de Melancolia, je croise une autre mélodie, toute simple, celle d’une comptine à dire en faisant des gestes précis:

Trece doamna prin salon / și apasă pe buton

Une mémé dans le salon / qui appuie sur le bouton

Source gallica.bnf.fr / BnF

Il faut imaginer quatre temps, quatre stations légères que celui qui chante exerce du bout du doigt sur le visage de l’enfant: le front, la pommette droite, le menton, la pommette gauche; puis il recommence et à la fin, très vite, « driing » en posant le doigt sur le bout du nez. L’effet de surprise fait rire aux éclats le petit enfant!

Ces quelques mots de ma traduction me font revivre le jour où j’ai adapté pour ma fille tout bébé cette formulette roumaine si populaire. Et voilà que j’en  place* une partie dans Melancolia, au cœur d’un si beau passage que c’est presque un crime d’en extraire des morceaux. Ce serait comme démantibuler un beau jouet aux proportions harmonieuses.

Alors voici le passage en entier:

Ensuite, la nuit tombait et il devait réveiller Isabel, brûlante et ensommeillée, parce qu’il leur fallait de nouveau manger quelque chose. Les parents leur disaient ensuite bonne nuit, ils les embrassaient sur le front ou sur les joues et ils quittaient la chambre comme s’ils

 n’avaient jamais existé. Derrière eux, la porte se claquait sans intervention humaine, comme quand il y avait un courant d’air. Dessous, il restait toujours un trait de lumière éclatante comme une lame de sabre. Mais les enfants ne se couchaient pas. Alors seulement commençait leur vie secrète. Car à peine la porte était-elle fermée, que la petite fille courait dans le lit de son frère où ils se roulaient en boule sous la couverture pour s’amuser ensemble et pouffer de rire. Jamais ils ne se sentaient plus heureux, pas même quand ils jouaient avec leurs joujoux. Le frère tirait les cheveux de sa sœur quand elle s’y attendait le moins, il riait de ses protestations, il lui touchait du bout du doigt le menton, l’oreille, le front en lui chuchotant : « Une mémé dans le salon, qui appuie sur le bouton », et le dernier mot tombait sur le bout du nez. Ou alors, il lui faisait la petite bête qui monte, avec deux doigts sur son petit corps recroquevillé qui faisait semblant d’avoir peur, avant même qu’il ne commence : « La p’tite bête qui monte, qui monte, qui monte, et qui te mangera ! », puis il lui chatouillait le ventre ou l’épaule : « Et ici, et ici ! » Ils riaient à en transpirer, s’efforçant de ne pas faire trop de bruit, pour que leur jeu ne soit pas interrompu. Le garçonnet contemplait sa petite sœur avec émerveillement. Pour lui, elle était la seule créature qui existait pour de vrai dans le monde. Cela lui plaisait tellement qu’elle ait des yeux noirs et vraiment d’une taille inhabituelle, on aurait dit rien qu’une pupille, cela lui plaisait qu’elle ait les cheveux plus foncés que les siens et que, en

 tout, elle soit plus noiraude, ses petits doigts l’amusaient, il les prenait entre les siens et il les faisait bouger, ébahi, dans tous les sens, il la faisait rire pour voir ses petites dents crénelées. Sa sœur, qui parlait pourtant de manière courante et correcte, ne savait pas prononcer les « r » et cela le ravissait. Il la taquinait, il se moquait d’elle, mais la petite ne se fâchait pas, parce que Marcel était lui aussi, pour elle, le seul être réel, tandis que le monde alentour était brume, vent et questionnement.

La deuxième comptine, celle de la « petite bête qui monte » subit une plus forte adaptation. Dans l’original, Gogoriţă, und‑te duci? La Isabel, s‑o mănânc! Și de unde‑o s‑o apuci? c’est un dialogue qui s’instaure: Petite bête où vas-tu? Chez Isabel, la manger! Et par où tu commences?

J’ai préféré la formule française. Une autre tentative aurait parue forcée puisque le jeu est décrit et que tout lecteur français s’attend à entendre de nouveau, comme dans son enfance, la p’tite bête qui monte…

Je me sens bien dans la bulle de ces deux petits enfants, car hier soir, la peur a pris la couleur bleue des masques sur le visage de plusieurs spectateurs. On ne voyait qu’eux dans la grande salle à l’italienne.

 

* Ma version dans la vraie vie fait trois tours de frimousse :

Une mémé en robe marron

fait le tour de son salon

et appuie sur le bouton,

Driiing!

 

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