Je ne sais ce que j’ai le plus aimé dans cette traduction…. Le héros? J’ai commencé par le détester avant de le prendre en amitié: il accumule les défauts rebutant la gent féminine!
La peinture sociale d’une rédaction de journal minée par les affaires véreuses? Ah oui, ça m’a botté. C’est jouissif. Le rédac’chef a ce petit quelque chose qui donnera des frissons à tout plumitif s’étant frotté un jour ou l’autre aux claviers crasseux d’un journal de seconde zone (c’est presque un passage obligé dans la carrière d’un journaliste post-belle époque de la presse)…
Le pas de deux amoureux? Il se révèle bancale du jour au lendemain, avec la disparition de Marga, l’héroÏne. Sacré personnage de fille! La scène du cornet de glace vaut le détour : c’est à ce moment-là je crois que j’ai commencé à compatir… pour lui. Lui, justement : il se révèle bon psychologue du couple. Il en comprend, des choses! …. après être revenu (un peu) de sa phase de beauf pas rasé, pas lavé. Il porte des chaussettes dans ses sandales (bouh!) mais analyse avec finesse les différentes mues du souvenir. Il le sait bien : le jour de la disparition, les jolies dents de Marga n’étaient que des « ratiches ». Puis elles retrouvent le nom objectif de « dents » avant de redevenir, à la lumière de la ressouvenance la plus récente, la plus chargée de nostalgie, de compassion et il faut le dire, d’amour, de jolies « quenottes » (p. 87).
Le troisième personnage important ici, c’est Set, le religieux néo-protestant. Le roman de Dan évoque de près les idées et les pratiques de Set et de ses amis. C’est bien vu, bien senti. Le roman, pour être assez court, réussit à être très riche : comment est vécu le sentiment d’exclusion vu de l’intérieur? Comment au fil du siècle le grand-père puis le père de Set ont-ils conquis de nouveaux adeptes? Dan Lungu décrit aussi les comportements d’intolérance de la part de la population majoritaire… Un chapitre excellent relate le passage à tabac de Set et de ses amis par un groupe de bergers à cheval. Le paysage calme et riant est le contrepoint idéal de cette noirceur humaine : c’est bref et violent. Efficace.
Les églises néo-protestantes connaissent un engouement réel même en occident. Au printemps 2010, Libération a consacré une double page au phénomène. Le roman de Dan Lungu revêt de chair, d’organique et de plaisir pour la chose « bien racontée » ces données actuelles un peu sèches.
Si vous êtes comme moi, vous glisserez assez rapidement de l’énervement à une reélle sympathie à l’égard de ce type un peu mou et pas très clean qui s’avère être sensible. Ses problèmes locatifs sont hyper réalistes. Il traîne ses valises. Passe par des moments de désespoir dans une cage d’escalier, assis sous des boîtes aux lettres aussi bancales que sa vie. Dort dans un dépôt de porcelaines. Envisage une nuit sur les journaux empilés à la rédaction. Explore les petites annonces. Trouve refuge chez Set… où il n’a pas le droit de fumer!
Et Elle, me direz-vous?
Eh bien, elle est fort présente, toute absente qu’elle est.
Et je dis chapeau à Dan Lungu pour la trouvaille de la fin, celle qui nous donne le pourquoi du comment de la disparition de Marga… C’est une e-conclusion très bien amenée…
Me permettant d’e-conclure à mon tour!
Info à destination des germanistes: la traduction allemande est parue, elle aussi. Signée Jan Cornelius. Wie man eine Frau vergisst est publié chez Residenz Verlag. Il est amusant de voir combien les couvertures sont différentes…