Tout s’en va – Venise

De temps en temps, la revue OPT motive (OPT en roumain veut dire Huit, mais surtout Opinii [Opinions], Povesti [Histoires], Texte [Textes]) me sollicite pour que j’écrive sur un sujet ou un autre.

En avril, c’était sur le confinement (l’article est ICI) et l’original français avait été publiée sur Actualitté.

Début août, Doina Rusti, romancière que j’adore et qui est une des fondatrices de la revue, m’a écrit pour me demander un texte qui alimenterait une rubrique estivale de courts articles signés par des artistes : « impressions, confessions – ce que tu fais, où tu vas, ce que tu lis, ce que tu entends, ce qu’il se passe durant cet été covidien, à quoi ressemble ton quartier, quels événements incroyables tu as vécus…. Taille du texte : de un paragraphe à une page.« 

Comment ne pas répondre?

L’article a été traduit en roumain et donc publié dans OPT motive. On peut le voir en cliquant sur ce lien.

Aujourd’hui, je le publie ici tel que je l’ai écrit en français, un soir à ma fenêtre, dans l’appartement d’une certaine adorable Martina. C’était il y a à peine quinze jours. C’était il y a une éternité.

 

Tout s’en va –  Venise

Je suis de retour à Venise. Que l’on ne me demande pas pour quoi faire. Je ne peux dire qu’une chose, j’y suis pour me retrouver. J’y passe deux semaines entières.

Andra tutto bene proclament encore les arc-en-ciel sur les dessins d’enfants affichés aux portes des maisons ou collés sur les vitres. C’est le mantra du “Tout ira bien”, méthode Coué du confinement imposé par la pandémie de Covid19. 

La ville du Carnaval romantique est en août 2020 la ville des masques chirurgicaux, obligatoires dans tous les lieux fermés: musées, magasins, églises, restaurants. Ou moins fermés, mais très fréquentés, comme les bateaux-bus, les célèbres vaporettos. Avec humour, élégance et fierté nationale, les commerçants portent souvent des masques aux couleurs de leur drapeau tricolore ou bien arborant un Lion de Saint-Marc.

“La masquerina” est indispensable et passée au rang des habitudes. Des affiches dans les lieux publics évoquent des événements qui n’auront pas lieu. D’autres, des élections reportées. Les visages des candidats aux élections régionales de Vénétie sont déjà rongés par l’humidité et déchirés. Il faudra tout refaire de cette communication électorale. Mais n’est-ce pas ce qu’on fait en permanence dans cette ville : les plâtres?

Je trouve dans un placard un vieux reportage sur Raymond Roussel, illustré par des photos de Sarah Moon. Un des passages évoque le “rien”. Dans cette ville pleine comme un œuf, j’observe quelques lieux de vide, aussi évocateurs qu’un discours, ou que les déliés d’une écriture pourtant serrée : l’espace frais entre les lames des persiennes closes ; les urnes de charité, ouvertes comme des bouches dans la pierre des églises ; l’espace brassé entre les jambes des enfants qui galopent d’un bout à l’autre d’un campo. Mais aussi les étonnants kilomètres de friches et de ronces, où je devine ici et là une ruine octogonale en brique ou le dos rond et indestructible d’un bunker, sur l’île du Lido.

Je lis une biographie de Marguerite Duras.

Je lis des poèmes de Bukowski dans sa langue, sans traduction, parce que l’uppercut n’a pas besoin d’être traduit.

Je lis le journal de Jules Michelet.

Je vois des photos de Jacques-Henri Lartigues. Certaines me transpercent. Je sors du palais qui les abrite. J’ai laissé un instant de mon reflet dans les miroirs en cuivre qui sont au plafond d’une étrange petite pièce où, selon moi, on ne devait se rendre que pour mettre à distance Venise, bien la caler dans le paysage de ciel et d’eau. J’imagine (c’est ma liberté !) le constructeur de ce palais en presque dissident du Livre d’Or.

Je vois des photos d’Henri-Cartier Bresson dans le regard de cinq artistes et collectionneurs. Je m’offre une image, une de mes photos préférées, de sa série espagnole. Les photos qu’il a faites dans ce pays sont parmi celles que je trouve les plus belles. Peut-être à cause de l’intensité dramatique des caractères. Cette photo représente une immense façade trouée de fenêtres petites et disposées de manière qui semble aléatoire. Au premier plan, des enfants dont je ne vois que les cheveux épais, les regards ardents.

Le chant des cigales résonne jusqu’au cœur du sestiere San Marco.

La végétation semble insoupçonnable dans cette ville d’eau et de pierre, mais elle est présente. Minuscules belles-de-nuit dans les jardinières aux fenêtres, bignones en guirlandes au-dessus d’un portique, froide et impromptue présence d’un figuier jeune, là, au faîte d’un muret, juste sous mes fenêtres. Et puis les cyprès et les lauriers rouges et blancs à l’Academia, dans la cour du Palais Franchetti, où j’ai vu plusieurs Chirico, avec l’émotion de qui plonge dans des souvenirs de perspectives anciennes, peuplées d’idées plus que de personnes.

Tôt le matin, sous mes fenêtres, un transporteur chargé de ballots bleus ou blancs amarre son embarcation à l’arrière de l’auberge voisine : c’est le service de blanchisserie industrielle. Les percolateurs délivrent de l’expresso, les trimeurs dans les arrière-cuisines font et défont des piles de soucoupes et de tasses, hachent et envoient au comptoir des brumes de salades, tranchent des centaines de tomates, tirent de leur petit lait des milliers de boules de mozzarella. J’entends tous ces échos des travailleurs du tourisme qui reprend, à Venise.

Une dernière vision : dans l’arrière-salle d’une boutique de souvenirs, deux ouvrières asiatiques aux doigts gourds s’hypnotisent sur des machines à sou.

Un dernier son : dans l’appartement voisin, une machine à laver entame son cycle d’essorage.

Andra tutto bene.

Tout s’en va.

 

 

Mon programme au Salon du livre de Paris!

Superbe programme, cette année encore. Je serai dimanche à 18h sur le stand de la Roumanie (G85), pour évoquer la traduction du livre de Savatie Bastovoi, en sa compagnie, lors d’une table ronde présentée par Cristina Hermeziu (son site Zoom France Roumanie). La présence de ce romancier est rare et il est d’une rare présence. Il fait le voyage, invité par l’Institut culturel roumain (leur programme complet en français en cliquant ici). A ne pas rater.

Je savoure à l’avance le privilège de traduire ce qu’il va dire et de répondre aux questions sur la traduction de son roman, Les enseignements d’une ex-prostituée à son fils handicapé, paru chez Jacqueline Chambon / Actes sud en janvier.

Juste avant, à 17h, nous serons sur le stand d’Actes Sud où l’auteur assurera une séance de signatures: venez nombreux pour obtenir une dédicace! Je serai là aussi parce que l’auteur n’est pas francophone, si bien que j’assure l’interprétariat… A moins que vous ne parliez roumain ou russe? 

Savatie Bastovoi arrivera à Paris samedi et repartira lundi en début d’après-midi, alors, pour le rencontrer, c’est dans ce créneau!

Mais aller au Salon du livre, c’est aussi retrouver ma petite sœur, Florence Hinckel (son site), sur le stand de l’ARL PACA (K18), où elle participe à une table ronde sur le monde vu par les ados. Nathan s’apprête à lancer le tome 3 de son Grand Saut (c’est pour le mois de mai, je crois)!

Je passerai aussi du temps avec mes éditeurs, Jacqueline Chambon, qui publie si régulièrement mes traductions, sur le stand Actes Sud.

J’irai voir aussi David Bosc, l’excellent éditeur de Noir sur Blanc… Car, oui, en effet, j’ai une très belle traduction en cours pour cette maison (j’ai déjà travaillé pour cette maison (voir ici le très beau livre édité il y a quelques années et dans lequel figurent plusieurs de mes traductions )… Mais chut, j’en dirai plus bientôt, au sujet de cette importante traduction en cours…

J’irai voir l’éditrice Olimpia Verger, sur le stand des éditions des Syrtes, où cette année j’irai embrasser mon ami Philippe Loubière qui signe pour cette maison la traduction du roman de Tatiana Tibuleac, L’Eté où maman a eu les yeux verts; je ferai un saut pour faire une bise à Fanny Chartres qui, de traductrice est devenue romancière pour la jeunesse et qui dédicace Strada Zambila, sur le stand de l’Ecole des loisirs… 

Mais je vais aussi retrouver mon amie Viviane Moore (son site), qui dédicace sur le stand de 10/18. Son dernier livre, Le Souffleur de cendres, qui vient clore une trilogie sur l’alchimie est très beau et m’a beaucoup plu… Elle a d’autres livres en préparation, cette romancière prolifique : passez lui demander ce qu’elle prépare!

Sinon, eh bien n’hésitez pas à naviguer dans l’univers littéraire de mes traductions, via l’onglet situé tout en haut de l’écran…

A bientôt ici pour découvrir d’autres projets, car cela fourmille: des traductions, des photos, des écrits personnels… 

 

 

 

Ma nouvelle traduction est sortie: un roman de Savatie Bastovoi!

Je partage le bonheur d’une nouvelle traduction avec vous, chers lecteurs de ce blog, et quelques réflexions : un grand sujet de société peut inspirer plusieurs romanciers en quelques années seulement. Cela dit quelque chose sur la puissance du thème traité… Dans le roman de Savatie Bastovoi, Les enseignement d’une ex-prostituée à son fils handicapé, c’est le drame des enfants moldaves (comme ceux aussi de Roumanie, Pologne, Ukraine…) « confiés » à des grands-parents ou à des connaissances par leurs père et mère partis travailler à l’étranger ( en Russie, en France, en Allemagne, en Italie). Ils sont en réalité abandonnés à eux-mêmes.

Ainsi, au moins trois autres romans ont été publiés en roumain ces dernières années autour de ce sujet : Kinderland, de Liliana Corobca, La petite fille qui jouait au bon Dieu, de Dan Lungu et Le testament non lu, de Liliana Bicec (un récit de vie plus qu’un roman, mais qui vous tire des larmes).

Savatie Baștovoi s’appuie sur le journal d’une mère déchirée par l’abandon de son fils (on trouve une page reproduite dans le livre). Il trace aussi, dans ce roman court, la trajectoire du duo à la puissance quasi mythologique de deux ados, Karlic et Sérioja, qui pourraient ne former qu’un seul corps: l’un en est la tête et l’autre les membres.

Dur, sans concession, violent parfois, ce roman révèle aussi la blessure que l’écrivain porte dans son cœur, lui qui aime son pays et en décrit les travers. Une traduction qui m’a poussée à explorer l’argot roumano-russe des truands moscovites, mais aussi à retrouver l’intensité poétique de l’écriture du moine moldave – pas un mot de trop, pas de longueurs.

Il porte la plume dans la plaie.

Les enseignements d’une ex-prostituée à son fils handicapé, éditions Jacqueline Chambon, est sorti le 10 janvier 2018.

Retrouvez aussi la nouvelle présentation de tous mes travaux à partir de l’onglet {mes traductions}. Vous trouverez à la page de ce livre quelques extraits des articles de presse parus depuis un mois. N’hésitez pas à laisser des commentaires ici!

FILIT : des forêts de mains qui se lèvent

Demain soir, je rejoindrai le Festival International de Littérature et Traduction (FILIT) pour sa 5ème édition.

Qui aurait cru que ce pari tenu par une poignée d’écrivains roumains de province donnerait un si beau résultat?

De grands auteurs européens sont venus jusque dans la petite (last edit après le commentaire de Denis Taurel : même vue de très loin, Iasi est tout de même la 4ème plus grande ville après Bucarest!) grande ville du nord de la Roumanie, depuis 2013, tels par exemple le britannique David Lodge, le prix Nobel de littérature Herta Müller, le bulgare Georgi Gospodinov, l’ukrainien Andrei Kurkov, le hongrois Attila Bartis, le suédois Aris Fioretos, les français Jean MatternJean RouaudFrançois-Henri Désérable, Romain Puertolas

Cette année, de grands noms connus des lecteurs se retrouvent à Iasi, et deux sont des prix Nobel de littérature : Svetlana Aleksievitch, bien connue pour son oeuvre mémorielle et Gao Xingjian, dissident chinois devenu français et qui écrit depuis de longues années dans notre langue. FILIT fait aussi venir à Iasi le somalien de langue anglaise Nuruddin Farah, auteur de plusieurs trilogies dénonçant par la littérature les crimes dans la Corne de l’Afrique. 

Emmanuel Regniez, l’auteur de Notre château, aux éditions du Tripode, est de l’édition 2017 et vient rencontrer les très attentifs lecteurs de cette ville.

Car c’est ce que j’avais remarqué lors des autres éditions (et tous les auteurs l’ont noté aussi: pour en savoir plus, lire ici) : le public est très, très nombreux, les rencontres avec les lycéens ‍organisées dans divers établissements sont des merveilles d’intérêt et d’engagement, avec des forêts de mains qui se lèvent dans les amphis.

Et moi, qu’ai-je à voir avec ce Festival? 

Tout :

✒️j’y retrouverai de nombreux confrères qui traduisent de la littérature roumaine dans leurs langues respectives. Nous sommes norvégiens, italiens, espagnols, anglais, allemands, néerlandais, suédois, hongrois, slovènes, bulgare, polonais ou croates et bien sûr français, et nous nous parlons en roumain, notre langue commune, de travail, de découverte et d’amour partagé pour une littérature,

 

✒️j’y découvrirai de nouveaux écrivains roumains et j’en retrouverai d’autres que j’aime,

 

✒️j’en parcourrai aussi la ville dont les collines et les monuments ont déjà une place dans ma mémoire et que je vais revoir comme on regarde des photos des vacances passées: en traquant les fissures du fond et les nouveaux visages qui se floutent en passant devant l’objectif.

Car un festival de littérature en Roumanie, c’est d’abord l’occasion de prendre un  bain de littérature roumaine, d’entrer dans les librairies, d’acheter des livres, de décrypter ce qui se joue dans la société et, aussi, bien sûr, d’écouter ce que les écrivains ont sous la semelle, avec un ou deux verres dans le ventre en fin de soirée…