Découvrez l’écrivain Lucian Dan Teodorovici

Le numéro 31 de la revue Transcript donne des Nouvelles de la Famille ! Les deux majuscules renvoient au double choix de cette livraison automnale de la revue européenne qui nous donne à connaître l’existence de la campagne Save the Short Story (« Sauvons la nouvelle »). L’éditorial en parle. On peut en savoir plus  ici.
Le second angle de ce numéro de Transcript est la Famille…
Celle décrite dans la short story de Lucian Dan Teodorovici est fort mal en point. Je vous laisse lire pour vous faire une idée. Savourez le Chewing-gum offert par Lucian Dan Teodorovici… Accrochez-vous, ça déménage! J’apprécie beaucoup son humour noir et son écriture précise.
Je mentionne également que cette nouvelle a été initialement publiée, toujours dans ma traduction, dans le très bon recueil Pas question de Draculaéditions Non Lieu.

Et j’espère que son roman Notre cirque présente trouvera bientôt un éditeur français…

L’écrivain roumain  partage le sommaire avec Roman Simić Bodrožić (trad. du croate Mireille Robin), Amanda Michalopoulou (trad.du grec par Michel Volkovich), Pierre Mejlak (trad. du maltais par Vincenzo Cardile)  et Jana Juráňová.

Herta Müller : « Mon altercation, ma langue minoritaire »

J’ai tressailli en entendant prononcer hier le nom de Herta Müller. Le prix Nobel de Littérature lui revient cette année et c’est une grande joie pour elle, pour l’Europe et pour la littérature des hommes, elle qui écrit avec tant de finesse sur l' »étranger », « l’autre », le « déplacement » et comme elle le dit si joliment dès le titre d’un de ses textes, sur « le pays à la table voisine ». J’ai tout de suite tiré de ma bibliothèque le beau numéro 5 de la défunte et regrettée revue « Seine et Danube » fondée par l’écrivain Dumitru Tsepeneag (publié chez POL). Ce numéro sorti en 2004 était consacré aux « écrivains allemands nés en Roumanie » . Comme de bien entendu, une belle place était réservée à Herta Müller
Dans son introduction à ce dossier, l’écrivain Dieter Schlesak (lui aussi allemand de Roumanie, excellent poète et prosateur et ancien rédacteur de la revue littéraire allemande « Neue Literatur ») disait ceci de l’écriture des enclaves :
« Les enclaves littéraires comme Prague par exemple, ont généré de nouvelles expériences, de grands noms, tels Kafka ou Rilke. La lisière, encore elle, a produit Canetti ou Celan qui repoussèrent les capacités de s’exprimer dans leur langue à des limites inconnues, bien loin, aux marges du mutisme. Et l’enclave germano-roumaine, avec ses expériences extrêmes, ne s’est pas contentée du Bucovinien Celan : les milieux littéraires ont fini par s’en rendre compte. Les auteurs issus de cette enclave n’ont en commun que l’arrière plan de leurs expériences : l’histoire problématique de leur groupe d’origine en Transylvanie, au Banat, en Bucovine, l’époque nazie, la dictature rouge, enfin l’effondrement du communisme » .
Il écrivait aussi très justement que dans cette littérature, « les expériences de rupture font prendre corps à des vérités liées à l’époque et à des vérités ontologiques : les illusions d’espace, de temps, de logique du langage sont démasquées. Cette état de conscience est difficilement concevable pour un lecteur occidental et pourtant il concerne tout autant la condition finale de l’Occident ».
Herta Müller est depuis longtemps bien plus qu’un écrivain « allemand né en Roumanie ». Ses ouvrages étaient chaque année plus remarqués outre-Rhin. En France aussi, son roman L’homme est un grand faisan sur terre est en poche depuis 1997.

Voici un extrait d’un des textes publiés dans ce fameux numéro 5 de Seine et Danube :

« Mon altercation, ma langue minoritaire

(…) Arrivée comme absente. Sur le sable comme sur les rives. Et plus lente qu’ailleurs, l’intelligence me fait défaut. Mon tour de langue, mon allemand minoritaire, comme tu fais triste figure. Le nuage a mis son manteau gris. Comme l’arête est étroite, la voie ferrée qui court d’une tempe à l’autre. Comme tu palpites en moi avec tes joues creuses. Et quand je veux parler, tu tombes mort sur ma langue. Et quand je veux me taire, alors tu fais comme si l’asphalte s’effaçait devant des champs de maïs jaillissants, verdoyants dans ma tête.
Mon allemand minoritaire, te voilà attaché. Le fil devient corde. Je me débarrasse de toi, tu ne te sauveras pas comme ça.
Mon altercation. Ma conscience d’étranger.
Yorkstrasse passe au-dessus des cours où les plantes silencieuses s’assemblent pour le deuil. Et Priesterweg, où le courant diminue. Marie vieille voix de femme dans ces lieux.
Les taches d’ombre des feuilles jamais poussées se sont déjà glissées en moi. Derrière le dos des feuilles devrait se trouver le soleil.
Comme les bouleaux se divisent, quand la voie défile. Ils attendent tant de moi, les troncs blancs. Tant et plus. Et si peu. »

Traduit de l’allemand par Pierre Rusch

Apollodore : mi-e dor, mi-e dor de Labrador!

Qu’est-ce que j’ai sur mon bureau depuis hier?  Le Voyage avec Apollodore! Je suis allée le chercher chez mon libraire… j’en ai profité pour lui dire qui était Gellu Naum, « un grand poète surréaliste – un roumain, parti en 2001 ». Le minimum que je puisse faire pour la postérité de ce grand auteur…  
Voyage avec Apollodore est un conte que l’on peut lire de 7 à 77 ans, selon la formule consacrée. L’histoire du pingouin Apollodore qui se languissait du Labrador a bercé l’enfance de générations de Roumains. Elle est aujourd’hui enfin disponible en français, dans une traduction de Sebastian Reichmann, lui aussi poète.

L’ambiance? Déjantée.
Le style ? Simplissime
Le rythme? Epique, endiablé
.

J’ai l’impression de plonger dans les délires psychédéliques des années 70 – c’est mon enfance qui ressort, robe chasuble orange, vernis assortis.  Apollodore est ténor, dans le cirque où il se languit du Labrador… Il prend l’avion, tombe sur le rivage des Syrtes, voyage à dos de chamelle dans le grand désert, prend un bateau, rencontre des cowboys, est pourchassé par le terrible bandit du Connecticut qui le fait tomber aux mains du Ku-Klux-Klan… Apollodore est envoyé sur la Lune, tombe de tout là-haut dans la mer des Antilles… Le bandit du Connecticut le poursuit sur le navire du Capitaine Smith… Apollodore retrouvera sa famille au Labrador… mais sa nostalgie s’éteindra-t-elle?

Le plus? Ce serait de pouvoir écouter le CD en roumain mis en chanson par Ada Milea et ses complices Dorina Chiriac et Radu Branzaru. C’est un régal!!  Je ne sais pas si j’arriverai à coller ici un extrait de ce CD via Deezer… Mais je vous donne le site de la maison de disque : http://www.alma.ro/hrm/aa_06_2.hrm

Bonne lecture!