Petites histoires de correction de textes

Avez-vous déjà noté combien il est facétieux, ce logiciel word que nous utilisons presque tous?
Surtout quand il s’agit de lui confier la correction automatique de nos humaines erreurs de frappe.
Petit florilège conçu au fil de mon travail d’hier:
epsirt, écrivez-vous? Word veille et propose à votre clavier dyslexique epsilon et epsomite!
klezmer n’est pas un genre qu’il agrée… d’où soulignement en rouge et zou! Vous vous retrouvez avec klepper…
Word tente parfois de concurrencer le hasard sur le terrain de la poésie et l’étrange et prévertien paysange de votre inconscient peut devenir, selon lui, un pays ange.
Ce n’est pas mal, tout ça.
Mais vous arrive-t-il d’avaler vos mots? mants apparaît dans le texte. N’ayez crainte, toutes les voies sont possibles, amants, monts, maints ou mantes sont à votre portée. Il y a même de quoi en faire tout un poème, comme « maints amants des monts en mantes d’hiver » par exemple…

Les choix lexicaux s’ouvrant dans la petite fenêtre à droite de la flèche sont parfois bien terre à terre. Jugez en, mon merveilleux chemotaxis s’est trouvé hier à deux clics de chemisier, chemiserie, chemisette ou chemisières!
Le top, c’est cet acetylcoline amputée de son h qui a failli virer accentologie ou acceptilation. Ce dernier n’est même pas dans le Robert!  Je vous rassure, c’est un terme qui existe tout de même.
Le fin mot de cette chronique revient bien justement à mon saltu , cette inoffensive et joviale formule d’accueil qui, à en croire un correcteur totalement déjanté mais aussi fort prétentieux, devrait se transformer en saïte!!  Et là, ne soyez pas rassurés, il ne s’agit pas de la prononciation phonétique de l’anglais « site », mais de ce qui est relatif à la XXVIème dynastie égyptienne!
Allez en paix, bonnes gens, et prenez garde au correcteur fou!

3 février 1989 (bis)

Lancement à Bruxelles
d’Opération Villages Roumains – OVR

Parmi les images qui ont le plus sûrement marqué l’esprit des Occidentaux dans les dernières années du régime communiste roumain, se trouvent celles des destructions massives de monuments historiques. La « systématisation », selon le terme utilisé par le pouvoir d’alors a commencé vers 1984 dans le centre de Bucarest. Puis les autorités voulurent à tout force « faire le bonheur » de la population et construire jusque dans les plus petits villages des « centres agro industriel ». Les villages étaient rasés.
Au milieu de toute la misère multiforme engendrée par le système totalitaire dans un pays comme la Roumanie, cet aspect de la violence provoqua une onde de réactions internationales et -surtout, peut-être- toucha en plein coeur la population occidentale.

C’est ainsi que naquit à Bruxelles, ce 3 février 1989 « une opération destinée à faire parrainer par des communes du reste de l’Europe 8.000 villages roumains menacés de destruction » peut-on lire dans une dépêche AFP de l’époque. (Les racines du mouvement remontent à 1988, mais c’était sans doute, en ce début février, un lancement officiel.) 

  » Du point de vue humain comme du point de vue du patrimoine, les effets de ce plan sont un véritable séisme  »  disait encore Paul Hermant, membre de la  » Coordination village roumains  » en Belgique, dans le même document.

La suite de l’histoire, on la connaît : Opération Villages Roumains a non seulement été un succès dans le domaine de la mobilisation citoyenne et de l’aide directe aux populations mais a également contribué à renouer les liens historiques entre Roumains et Français. En 1989, la dépêche était, comme les initiateurs du projet, prudente, et signalait que « des initiatives équivalentes à celle annoncée en Belgique devraient prochainement voir le jour en France, en Italie, aux Pays-Bas, en RFA, et peut-être même dans des pays d’Europe de l’Est ».  Finalement, OVR devint ce qu’elle est aujourd’hui encore…

Aujourd’hui, le traumatisme des destructions est sublimé, entre autres, dans de belles pages de littérature. Si cela vous intéresse, je vous en donnerai ici un ou deux passages très beaux auxquels je pense tout de suite – parce que je les ai traduits en français.

Le site OVR est dans mes liens.

3 février 1989

Si vous arrivez directement ici, je vous conseille de lire cela : 1989 – 2009 : l’anniversaire des 20 ans vécu au jour le jour avant d’aller plus loin pour comprendre dans quel contexte je publie sur mon blog ces traces des événements petits ou grands qui ont eu lieu il y a tout juste 20 ans.

Début février 1989, l’émotion soulevée par l’émission de Noel Mamère, Résistance, n’est pas retombée. Toute la journée avait d’ailleurs été consacrée à la Roumanie. C’était pour les 71 ans du dictateur Ceausescu. Un pied de nez adressé depuis l’Occident par télévision interposée. Le journaliste avait commencé l’émission en disant ces quelques mots :
« Cher Nicolae, au seuil de vos 71 ans, « Résistances » avait le devoir de rendre hommage au grand défenseur des droits de l’homme que vous prétendez être.  Vous conduisez la Roumanie depuis 23 ans, avec un génie inégalé; vous êtes porté aux nues par votre presse, libre bien entendu, en des termes qui doivent certainement blessé votre modestie légendaire. Conducator, Génie des Carpates, Danube de la Pensée, premier Bâtisseur, oui, monsieur Ceausescu, votre peuple vous aime, c’est ce que vous tentez de faire croire, mais le mensonge ne passe pas, et nous nous trouvons ici, ce soir, pour vous le dire. En 23 ans vous avez réussi à plonger votre pays dans la misère et l’obscurantisme. Depuis 23 ans, avec votre famille, vous régnez  par la peur et vous violez chaque jour la vie intime de vos sujets. A deux heures de Paris, au coeur de l’Europe, vous voulez effacer la mémoire d’un peuple, vous êtes sur le point de détruire sa culture. Voilà pourquoi, à notre manière, nous célébrerons votre anniversaire, monsieur le dictateur rouge. » (cité par Monica Lovinescu, Pragul / Unde scurte V, éditions Humanitas, 1995.)

Mais en ce 3 février 1989, ce qui retient mon attention, c’est le fait que des médecins de Médecins du Monde publient leur témoignage après avoir pu, courant janvier, rendre visite à Doïna Cornea, l’opposante fragile et forte. Je vous propose de lire l’article entier sur cette page : Article du Monde du 3 février 1989

C’est édifiant.
Et puis voici la couverture d’un livre reprenant tous les textes -appels, pétitions, lettres au Conseil de l’Europe ou à Jean Paul II- de Doina Cornea. C’est inédit en français. (Editions Humanitas – 2006)

Article du Monde du 3 février 1989

Vendredi  3 Février 1989

 

ROUMANIE
Le combat de Doina Cornea

 

(02 FEVRIER 1989)

 

Deux médecins de l’organisation humanitaire Médecins du monde, les docteurs Jacques Lebas et Patrick Laburthe-Tolra, viennent de se rendre en Roumanie, où ils ont rencontré Mme Doina Cornea, ex-professeur de français à l’université de Cluj, harcelée par la police pour avoir critiqué le régime. Ils nous ont adressé leur témoignage.

 

Cluj, capitale de la Transylvanie roumaine, 24 janvier.
Comme tous les matins, Doina Cornea a ouvert anxieusement la porte de sa maisonnette du 16, rue Alba-Julia. Elle est soulagée : la voie est libre. Elle sait que lorsque la porte est bouchée par le milicien de garde, elle restera recluse toute la journée dans sa maison, sans droit de sortir.

C’est avec chaleur, mais non sans surprise, que Doina Cornea nous accueille. Ces derniers jours, des journalistes américains qui essayaient de la rencontrer ont été immédiatement expulsés, et les diplomates européens qui tentent de la joindre n’y parviennent pas. Quant à nous, nous allons bien soigner en Afghanistan, au Salvador ou en Afrique du Sud. Nous ne pouvons négliger les souffrances des hommes à deux heures de Paris.

Dans une pièce aux fenêtres aveugles (cette nuit même, la Securitate a placé un projecteur au-dessus de sa maison), Doina Cornéa nous raconte son combat.

 » L’isolement qu’ils me font subir dans ma propre maison m’est plus pénible que les mois de prison. Au moins avais-je en cellule des compagnons.

 » J’étais, jusqu’au 5 janvier, suivie en permanence par plusieurs agents de la Securitate. Il y en avait toujours un qui me collait à un mètre, m’insultant constamment et essayant de déclencher la réprobation des gens que nous croisions dans la rue. Sans succès.

 » Depuis des mois, pas une lettre, sauf une unique carte de voeux. Les seules lettres qu’ils m’ont fait parvenir sont des lettres d’insultes ou des menaces de mort. Quand ils me les donnent maintenant, je les déchire aux pieds du milicien en faction.

 » Mais pourquoi vous intéressez-vous à moi ? Il y a bien d’autres opposants dont il faut s’occuper, nous sommes sans nouvelles d’eux. Vous savez, dans ce pays, les opposants disparaissent. Certains même ont été assassinés. Dans le silence total. Je n’ai pas peur de mourir, je ne crains pas la mort. Je ne crains plus rien.  »

Prisonnière

dans sa propre maison

Elle décroche son téléphone pour nous montrer qu’il est coupé depuis des mois.  » Tout contact avec les autres est impossible, car un simple échange de regards avec moi vaut interrogatoires et tracasseries à celui qui me l’accorde. Je suis une opposante, pas une dissidente. Je n’ai jamais adhéré à aucun parti. Mon combat n’est pas un combat politique, c’est un combat moral. C’est l’essence de l’homme qui est en train d’être détruite dans mon pays. C’est difficile de résister ici, chaque jour, dans cette solitude. Surtout qu’ils en veulent à ma famille, et en particulier à mon fils.

 » J’ai été radiée de l’Université, mon fils a été en prison. Son seul délit : le délit d’être fils. »

De quoi est coupable cette frêle femme au regard doux, au sourire indulgent ? De s’être adressée directement dans une lettre au président Ceausescu pour réclamer l’arrêt de la destruction des villages dans son pays.

Déambuler dans Bucarest est une épreuve qui donne le frisson. Impossible d’accrocher les regards des passants. Dans la rue, personne ne se parle, pas de cris d’enfants. Un sac en plastique à la main, les gens viennent grossir les queues interminables.

Soudain, un attroupement. Une cinquantaine de personnes devant les vitrines de l’Aeroflot regardent les informations en provenance de Moscou : des photos de Gorbatchev avec Mitterrand, avec Kohl. Enfin une vitrine sans effigie du Conducator.

Nous cherchons à visiter un hôpital. On nous a appris que, si vous avez plus de soixante-dix ans, les ambulances ne vous transportent plus et que les parents ne peuvent voir leurs enfants hospitalisés qu’au travers de grilles en soudoyant le milicien.

A peine avons-nous franchi la porte de l’hôpital qu’un milicien en uniforme se précipite sur nous. Dans un français impeccable, il nous signifie que « l’hôpital n’est pas un objectif touristique ». D’ailleurs, il ne nous croit pas touristes et nous conseille vivement de regagner notre pays le plus rapidement possible.

Les amis que nous pourrions avoir en Roumanie ne sont pas non plus des « objectifs touristiques ». Ces menaces sont réitérées une demi-heure plus tard. Nous gagnons l’ambassade de France. C’est sous la protection de diplomates que nous serons emmenés à l’aéroport, suivis d’une meute de barbouzes du régime dans leurs Dacia banalisées. Face à Ceausescu, Staline suranné, une femme résiste, prisonnière dans sa propre maison. Ne l’abandonnons pas.

 

VANHECKE CHARLES