La Roumanie qui a du sens

Pour donner encore un peu plus de sens à ma bourse de séjour accordée par l’Institut culturel roumain, j’ai eu l’idée d’aller à la rencontre des jeunes, pour leur parler de ce qui, dans leur littérature, est traduit en France. Et pour les écouter aussi.

J’en avais d’autant plus envie que j’ai passé presque tout mon séjour de deux mois à Galati, une ville qui ne figure pas sur les grands circuits littéraires et artistiques et où ma proposition, me disais-je, paraîtrait à la fois surprenante (je n’ai pas été déçue) et bienvenue (j’ai été comblée).

C’est que l’on sommeille un peu dans ces confins de Roumanie, alors que tout plaiderait au contraire pour une effervescence générale, dans cette autre région « des trois frontières » : ce que j’ai vécu me le confirme. Mais c’est une ville qui est très mal desservie par les transports. Il faut passer quatre heures dans le train pour parcourir depuis Bucarest les 230 km de voie ferrée et avoir le plaisir de boire un café sur les rives du fleuve… Il n’y a bien sûr pas d’autoroute et même pas de voie rapide sur tout le trajet. La ville n’a pas la réputation d’être une grande ville culturelle, c’est un fait. Industrielle, oui. Désindustrialisée aujourd’hui, ô que oui, avec l’activité sidérurgique qui fait peau de chagrin. Des centaines d’hectares d’anciennes usines ou manufactures élèvent leurs ruines vers le ciel dans l’incurie générale : les murs partent la nuit par petits bouts, emportés par qui saura les commercialiser.

Un feu continu de questions

Tout cela étant dit, j’adore cette ville et je voulais y faire quelque chose. De fil en aiguille, à force d’en parler, j’ai trouvé une possibilité. Le professeur Smaranda Enica, enseignante dans un grand lycée de la ville m’a ouvert les portes de son établissement. J’ai été  accueillie par le corps professoral du lycée Vasile Alecsandri – du nom du poète, dramaturge et traducteur, en français, de ses propres recueils de folklore roumain au 19ème siècle et dont le buste trône dans la cour de l’élégant bâtiment de cet établissement élevé au rang de « collège national ». Ne m’en demandez pas trop sur la nomenclature des lycées en Roumanie. Tout ce que je peux dire est qu’il accueille des élèves excellents et que c’est un lycée de très ancienne tradition.

Le directeur du lycée, Vasile Ciuchina, a donné son autorisation, les professeurs de français du lycée se sont organisés et l’on m’a très rapidement offert de parler, le jeudi 13 novembre, devant un amphithéâtre entier.

J’ai fait défiler en fond une animation que j’ai réalisée, toute simple : elle présente les couvertures des livres roumains traduits en français ces deux dernières années. L’occasion de rendre hommage aux éditeurs français et aux quelques collègues qui, comme moi, traduisent de cette littérature encore peu connue en France.

J’avais pris la précaution de me munir d’un déroulé très précis afin de tenir les 50 minutes sans dépasser. Mais après mon introduction, qui portait simplement sur l’impératif naturel et civilisateur de la lecture, et la mention généreuse « vous pouvez bien sûr me poser une question à tout moment », qui sert surtout, en France, à s’assurer de ne pas rester tout seul avec son micro devant une salle que l’on sait passive ‒ des dizaines de mains se sont levées.

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Pendant presque une heure, le dialogue avec les lycéens (tous niveaux confondus) a été ininterrompu. Sans une faute note. Intéressant. Je venais pour écouter (même si cela peut paraître paradoxal) et j’ai été servie. Le miracle ? De question en question, nous avons abordé tous les points que je voulais traiter au départ. J’ai aimé leur spontanéité, la curiosité sans fard, l’intérêt vibrant que l’on sent toujours chez une jeune personne qui a envie d’écrire, qui écrit peut-être, sûrement, dans le secret de sa chambre. J’ai aimé que les jeunes garçons soient aussi intéressés que les jeunes filles par les questions du lexique, des textes préférés, et l’un d’eux m’a surprise avec « qu’est-ce que vous préférez dans la langue roumaine », qui a appelé du tac au tac mon très sincère « unele zorzoane » (c’est-à-dire « certaines fioritures » ‒ et ce mot roumain, je l’adore, il est tout pour moi, depuis très longtemps), après quoi nous avons tous ri de ma boutade qui n’en est pas vraiment une, on l’aura compris.

J’avais déjà remarqué, à Iasi, dans un autre lycée, la qualité des élèves et l’engagement de leurs professeurs. C’est que le sentiment de produire du sens est ressenti à la fois par les élèves et les enseignants. Chapeau.

Tous mes remerciements à la Mme le professeur de géographie Smaranda Enica, grâce à laquelle tout cela a été possible et à M. le directeur Vasile Ciuchina pour son accueil.

2 thoughts on “La Roumanie qui a du sens

  1. A fost o experienta interesanta din care noi am ramas cu pasiunea unui francez pentru limba si literatura romana, uimiti de modul elevat de cunoastere a limbii noastre. Ne-ati fermecat prin sarm, cuvintele calde si pasiunea cu care va desfasurati meseria. Felicitari si cat mai multe reusite!

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