Trois poèmes de Florin Iaru

Parmi tout ce que j’ai fait au salon du livre, il y a cette traduction de trois poèmes de Florin Iaru (prononcez « florin’ Iarou »). C’était imprévu: le poète roumain s’était déplacé à Paris, notamment pour la présentation de l’anthologie Des Soleils différents qui publie un extrait de son premier roman, à paraître à Bucarest et intitulé Noir… et devait lire, le samedi, quelques poèmes sur le stand de la Roumanie (c’était tout à côté de l’immense stand du pays invité, le Mexique).
Il lui manquait quelques traductions. Me voici donc, vendredi soir (nuit) dans le train, à traduire trois poèmes que je venais de choisir parmi plusieurs autres.

Vous me direz, mais qu’est-ce qui lui prend? Il me prend que j’aime le caractère ludique de ses poèmes, leur air de ne pas y toucher : on aperçoit derrière un funambule en équilibre précaire, et on retient notre souffle.

Avec l’accord de Florin Iaru, les voici :

Vers énergie

Comme il glisse joliment l’électron –

demoiselle d’honneur

à ombrelle de soie

quand lui,

le jeune

le pâle amoureux

l’aperçoit, et le voilà sur ses pas –

le mouchoir glisse de soie entre eux-

les passereaux pépient –

la parentèle à les pensées apaisées, au sortir du prêche-

tout est rêve et harmonie-

et l’aveugle, de bonheur jette son bâton

et le boiteux, de bonheur jette son bâton

et le roi, de bonheur jette son bouffon

et la mort, de bonheur jette son hameçon

et l’hydrocarbure, de bonheur jette son carbone –

vers le bord

comme il glisse joliment l’électron !

 

Est éthique
Je sais, vous ne me croirez pas, mais ce matin,

J’ai vu Todor Jivkov aux légumes, au marché.

Bon citoyen, ravi par les tomates et les poivrons.

A ses côtés, Janos Kadar contrôlait la volaille,

les coqs, les oies, les chapons,

mâle ou femelle ? et les dindons.

Il ne semblait pas même me voir,

occupé qu’il était à expliquer, en expert, le prix au détail

à Honecker exposant sa crème et son beurre.

Près de l’étal, Brejnev Leonid, avec un succès fou

vendait la chair tirée du canon

vendait les plants de hêtres, russes et véritables.

A côté de Husak, on aurait dit deux connétables

Et ce dernier, ne vous moquez pas,

Vendait de la cuisse ou de la hanche parfumée… et tchécoslo-vache.

Le cousin Jaruzelski ne s’en laissait pas conter

Avec sa production –petite série- de lunettes en os.

Tous proprets, à visage humain, tous, ensemble,

Dans la même coopérative du

Travail bien fait. Et à la place d’honneur

Trônait dans sa blouse reprisée, parmi poinçons et anciens couteaux,

Un génial cordonnier frappant à petits coups sur les clous.

Je sais, vous ne me croirez pas, mais le monde leur souriait

Et eux souriaient jaune au monde.

Et sur le jaune des murs, le soleil brillait.

Larme et animal
Un arbre me demande :

-Hé, toi le barbu, pourquoi la mort ?

Arrive un animal :

-Hé, toi le barbu, pourquoi la mort ?

Et un oiseau

(se battant pour exister) :

-Hé, toi le barbu, pourquoi, pourquoi ?

Et un nerf de bœuf

lancé dans les photographies de l’enfance :

-Pourquoi forcément la mort, hé, toi le barbu !

disent-ils tous, tristes

de me voir aller par des chemins perdus…

Puis il arrive lui aussi,

Rusé roux

goupil.

Il souffle un souffle ardent près

de ma gorge

Et dit,

Pensif :

-La mort… hum, qui sait ?

Et une larme tombe sur mon épaule de verre.

 

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