Janvier 1989

Comme promis hier, voici le premier épisode de ce survol de la presse de 1989, survol assorti des quelques précisions que je peux apporter aux lecteurs de tous horizons découvrant ici une page d’histoire récente.  Aux autres lecteurs connaissant mieux que moi cette période et désirant apporter des commentaires ou des précisions, je précise que les commentaires sont ouverts et disponibles. Bonne lecture!

En janvier, plusieurs événements disparates font penser à des galets semés par le petit Poucet de l’histoire en marche :

Le 8 janvier, RTL diffuse un entretien avec Valéry Giscard D’Estaing demandant à la France et aux gouvernements occidentaux de sommer Bucarest, comme ils l’ont fait avec l’Union Soviétique, de respecter les accords d’Helsinki. ‘Lancien président évoque le cas de Doina Cornea (voir plus bas), des asiles psychiatriques qui servent à briser mentalement et physiquement les protestataires contre le régime communiste, les persécutions pour délit d’opinion etc.

Le 15 janvier 1989, débute à Prague une semaine de manifestations à la mémoire de Jan Palach, ce jeune homme qui s’était immolé par le feu en 1969 pour protester contre l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie.

Ce même 15 janvier, Le Monde publie un très bon article : « La clôture de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe : La Roumanie n’a voulu prendre  » aucun engagement  » de respecter le document final ». Je vous propose de le lire en entier sur cette page, ici : Article du Monde du 17 janvier 1989

Le 18 janvier voit la création d’un Comité International d’Urgence (CIU) destiné à aider les Roumains. On le sait bien : le pouvoir dictatorial roumain n’est sensible qu’à une chose, son image déplorable auprès de la communauté internationale. La médiatisation est plus que jamais une arme. Pour les hommes et les femmes qui, en Roumanie, à leur niveau souvent modeste, mais toujours en prenant des risques phénoménaux, s’élèvent contre les abus policiers en usage dans leur pays, pour eux, donc, la médiatisation de leurs efforts à l’étranger est un enjeu vital.

Monica Lovinescu le rappelait avec amertume dans son journal (inédit en français) : c’est en restant isolé, en faisant confiance à la Securitate (la police politique) qu’est mort, sous la torture, en novembre 1985, Gheorghe Ursu. Cet  ingénieur qui écrivait son journal intime sans le montrer à personne, avait été arrêté en septembre 1985 et soumis à des interrogatoires puis à des tortures. Il n’avait alerté personne pendant qu’il pouvait encore le faire, faisant confiance à la Securitate qui lui assurait une chose inouïe : en s’abstenant de provoquer un scandale international, il rentrerait bien vite chez lui. Gheorghe Ursu fut tué en secret, durant le mois de novembre de la même année.
C’est avec un exemple pareil que l’on comprend mieux, je pense, l’intérêt des diverses « mobilisations » qui nous sont proposées et que parfois nous repoussons, un peu lassés.
Que je vous dise à présent deux mots de Monica Lovinescu, cette femme journaliste et écrivain, dont je ferai bientôt un portrait : elle a vécu en exil à Paris et a été un des rouages essentiels de la mobilisation en faveur des libertés en Roumanie. En effet, elle ne pouvait se résigner à baisser les bras : en dépit de toutes les apparences et de toutes les désillusions ancrées dans les esprits par quarante ans d’immobilisme, elle savait, elle croyait que les choses pouvaient changer, que la Roumanie et ses pays voisins pouvaient retrouver leur statut de démocratie, de nation européenne. Elle déployait donc, aux côtés de son mari Virgil Ierunca et avec un grand nombre d’écrivains, de journalistes, de chercheurs, de militants des droits de l’homme, avec d’autres exilés roumains aussi, une infatigable et ingrate mission d’analyse et de diffusion, au jour le jour, des moindres réactions, événements ou publications concernant la Roumanie.

 

Le 23 janvier 1989, la presse française parle de la publication en français d’Horizons rouges (publié aux USA en 1987), le brûlot du général Pacepa : ce dernier se trouvait au sommet de la police politique (la Securitate) et dans l’entourage proche du couple Ceausescu, avant de devenir le seul plus haut dirigeant de services secrets de l’ancien bloc soviétique a avoir jamais fait défection. C’est-à-dire à avoir choisi de « passer à l’ouest », comme on disait.

Durant le seul mois de janvier, on apprend aussi que 2 prêtres polonais sont assassinés par la police politique de leur pays.

En Roumanie, c’est un journaliste américain du New York City Tribune qui se trouve expulsé du pays pour avoir voulu rencontrer un représentant de la minorité hongroise.

Les journalistes français éprouvent eux aussi les plus grandes difficultés à travailler en Roumanie. Ils sont nombreux à signer une pétition dénonçant la clandestinité derrière laquelle ils sont obligés de se cacher pour réaliser leurs reportages dans ce pays. Une clandesnité pour eux  – et un danger pour les personnes, notamment des écrivains, comme Mircea Dinescu ou Ana Blandiana  ou des syndicalistes, qui tentent de rencontrer des journalistes occidentaux pour faire connaître l’intolérable situation dans laquelle se trouve la population.

L’événement médiatique du mois, du point de vue de la situation des Roumains sous la dictature, c’est le 26 janvier : la chaîne française Antenne 2 (ancienne France2) diffuse un numéro du magazine Résistances du journaliste Noël Mamère. Oui, vous avez bien lu, le célèbre maire de Bègles, écologiste aujourd’hui et qui a quitté le journalisme. Le reportage de Joseph Dubié, un journaliste belge qui a réussi à tourner clandestinement en Roumanie durant le mois de décembre 1988 montre au grand public la détresse de la population et lui permet de faire connaissance plus longuement avec la petite voix et la stature fragile de Doïna Cornea.

Monica Lovinescu consacre un large espace de ses chroniques diffusées à Radio Europe Libre et de grandes pages de son journal à décrire le déroulement de ce numéro de Résistances et ses conséquences (nombreuses) sur l’opinion publique française. Elle donne aussi les noms de tous ces Roumains qui ont signé la pétition de Doïna Cornea qui lui vaut depuis septembre 1988 d’être surveillée nuit et jour, de n’avoir plus droit au courrier ni au téléphone et même de se voir battue dans la rue par des policiers : c’est cette précision dans la médiatisation des moindres cas de « dissidence » qui assure une sorte de protection dans un régime qui redoute plus que tout d’être exposé à l’ire internationale et qui se renferme chaque jour davantage.

En deux mots : la lettre de protestation du 23 août 1988 signalait avec indignation les destructions des villages pour les remplacer par des « centres agro-alimentaires », la surveillance et la pression intolérables dont étaient victimes les Roumains, à tout cela s’ajoutant les conditions de pénurie dues principalement à l’ambitieux projet du régime de rembourser de la dette de la Roumanie en quelques courtes années.

(à suivre)

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