Dialogue avec Brancusi… et Aphrodite

Pour conclure mon évocation de la très belle soirée poésie de samedi, voici les poèmes de Ion Pop, de Magda Carneci et de Ion Muresan ( le troisième dans un post séparé, pour cause de longueur à ne pas dépasser…).

Un poème tiré du volume La Découverte de l’oeil, de Ion Pop:

Brancusi a décidé

Comment cela est arrivé, je ne puis le savoir,
Brancusi m’est apparu et m’a dit
qu’il avait décidé d’intervenir
et de me ciseler.
Je te ferai comme Fondane, m’a-t-il dit –
il avait une crinière de cheveux flottants
sur son front trop ridé, mais moi,
je la lui ai effacée avec une gomme énorme –
il n’est resté de sa tête
qu’un ovale, l’Origine du Monde.
Je pense redessiner ta tête
et les yeux seront très vides, pour qu’on puisse y mettre
presque Tout. Et des mers, et des terres et des nuages.
D’autres hoses
ne sont pas nécessaires. Puis, il s’est retiré.

Attention, Ion Pop, prends garde,
ce qui t’arrive maintenant n’est que la préparation, que l’attente polie du Maître.
Nombre de choses te quittent, tombent sous un ciseau invisible
de nouvelles eaux te lavent du vieux sang,
les fruits déjà mûrs tombent des fleurs qui viennent d’éclore,
la feuille de maintenant , la pierre d’aujourd’hui s’effritent,
au-dessus de spasmes et d’angoisses la lumière
essaie d’envelopper des visages blancs.
Tout ce qui pue en toi tout ce qui se gonfle
sera parfum et marbre.
Retiens cela, Ion Pop, maintenant et toujours –
c’est un grand, inéspéré honneur
que Brancusi lui-même
ait décidé d’intervenir
et de te ciseler.

Traduit du roumain par Stefana et Ioan Pop – Curseu. Editions MEET Saint-Nazaire.

Un poème que Magda Carneci a tiré d’un recueil (si j’ai bien compris inédit) de poésie politique (j’aime beaucoup)

Les travaux d’Aphrodite

Le matin arrive en hurlant, le fouet de la lumière dressé
au-dessus de chaque couple   qui flotte dans les eaux blanches du lit,
millions de corps      noués dans l’amour
pourtant le désespor de la fin      prédestiné à l’éternelle journée de travail;
ils baignent dans la sueur froide de l’aube        corps contre corps
dans le grand corps du monde       prédestiné à l’éternelle journée de travail.

Il suinte toujours par-dessous les portes noires, de fer,
le sang qui vient des usines où l’on empaquette la souffrance
et dans de minces ruisseaux       il déferle dès le matin sur la ville
prédestinée à l’éternelle journée de travail.
Le cri des sirères est plus aigu     plus aigu    plus aigu
mais personne n’est encore réveillé.
Arrive de loin l’odeur douceâtre des abattoirs de chair à canon
de viande pensante prédestinée à l’éternelle journée de travail.
Les travaux d’Aphrodite, les travaux du corps contre le corps,
corps à corps        peinant à ciseler la forme encore balbutiante
d’un nouvel homme nouveau à venir
il se façonne maintenant dans chaque couple
cruellement raidi dans l’amour          avec le désepsoir de la fin.
Et lui, le nourrisson sacré et humide, le grand nourrisson salvateur
sa venue sera pourtant étrange, surprenante
comme l’est un verdict incompris, dans une lettre dangereuse,
jetée au bas de l’entrée, à côté du journal du matin,
comme l’est une petite boîte de conserve venue d’ailleurs, au nom alléchant
remplie de dynamite et d’apocalypse.

Elle nourrira à satiété     c’est sûr    elle transformera
toutes les bouches, tous les cerveaux, tous les corps
avidement noués dans l’amour   avec le désespoir de la fin:
ils baignent encore  les myriades d’hommes et de femmes
dans la sueur froide de l’aube, dans les eaux blanches du lit,
aveuglés par l’extase, l’horreur et la colère
prédestinés à l’éternelle journée de travail.
(1979)

Traduction : non communiqué…

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