Speed booking à l’Esperluète

Je n’ai pas assisté au dernier Café Bouquins consacré à L’Aveuglement de Saramago (je vais très vite mettre en ligne les impressions de ma complice Geneviève) mais je suis rentrée de Bucarest juste à temps pour aller au speed booking de la librairie L’Esperluète! Nous n’étions finalement pas assez nombreux pour nous livrer à cet exercice rhétorique… alors Olivier L’Hostis, notre hôte, nous a installés sur un canapé orange et des chaises rouges au milieu des piles de livres et des tables chargées d’ouvrages. On était tout près du rayon dragons et vampires en tous genres qui attire tellement de jeunes lecteurs… Mais nos lectures à nous n’avaient rien du catalogue des noirceurs réjouissantes… Et que de découvertes!
C’est une simple liste (encore une) mais chacun de ces ouvrages est un coup de coeur. L’entendre présenté par l’un ou l’autre a été un véritable plaisir. Vivement la prochaine rencontre. Et l’on passera peut-être du slow booking (qui a vraiment son intérêt!) de ce soir au vrai speed booking avec cloche qui tinte au bout de trois minutes, entrain et vivacité!
J’ai donc entendu parler avec passion de Une année étrangère de Brigitte Giraud chez Stock, de Firmin, par Sam Savage chez Actes Sud, de U-Boot de Robert Alexis chez José Corti, de Le potentiel érotique de ma femme de Foenkinos chez Gallimard, de Shutter Island de Denis Lehane aux éditions Rivages et de Tous à l’ouest ! : Ou Le Tour du monde en quatre-vingts clichés de Sidney-Joseph Perelman, traduit par Thierry Beauchamp, aux éditions Le Dilettante. J’ai, quant à moi, présenté L’Aile tatouée de Mircea Cartarescu, éditions Denoël et un recueil de nouvelles découvert par hasard dans les rayonnages de L’Esperluète, Nature morte à la grenade, d’Inga Abele. Elle est lettone, elle a 37 ans, vit à Riga et ses textes sont traduits par Gita Grinberga et Henri Menantaud pour les éditions L’Archange Minotaure. Quatre nouvelles  qui sont de vrais bijoux. Je recommande particulièrement « Offrez-moi un violon », d’une beauté déchirante.

Les livres roumains parus en 2009

Je voulais depuis quelques semaines donner ici une liste toute simple mais peut-être utile : celle des ouvrages de littérature, traduits du roumain et parus cette année, en 2009:

L’Enveloppe noire, de Norman Manea, dans une traduction de Marily Le Nir. L’auteur roumain vivant aux Etats Unis publie aussi en cette fin 2009, et toujours au Seuil Les clowns : Le dictateur et l’artiste, des textes traduits par Odile Serre et Marily Le Nir.
L’Aile tatouée, de Mircea Cartarescu : le moment idéal pour le lire puisqu’il raconte la révolution roumaine sous un angle satirique (mais ce que je dis là est très très réducteur).
Ils arrivent les barbares, le roman d’Eugène Uricaru, traduit par Marily Le Nir pour les éditions Noir sur Blanc.
Vienne le jour : c’était le premier roman de Gabriela Adamesteanu.  Aujourd’hui chez Gallimard, dans une traduction de Marily Le Nir.

Je signale aussi le roman de Virgil Tanase, même s’il est écrit en français… parce que j’ai beaucoup aimé sa petite biographie d’Anton Tchekhov… Donc, Zoïa, une saga et un portrait de femme dans la Roumanie communiste, publié aux éditions Non Lieu.

C’est le moment aussi d’annoncer la parution de quelques ouvrages ayant trait à la Roumanie. Ils ne sont pas si nombreux mas j’ai fait une petite sélection de livres très différents. Voici l’éventail que je vous propose :
La Mort des Ceausescu : la vérité sur un coup d’Etat communiste. J’ai justement reçu aujourd’hui l’invitation à la signature de ce dernier ouvrage en date de Catherine Durandin (avec la participation de Guy Hoedts). Cela paraît ces jours-ci chez Bourin éditeurs et je vais le lire avec grand intérêt…

Parmi les autres ouvrages, je signale le livre polémique Roumanie étrange et étrangère de Carmen Mihai, aux Editions marseillaises Autres temps; l’ouvrage terrible et dérangeant de Matatias Carp, Cartea neagra : Le Livre noir sur la destruction des Juifs de Roumanie (1940-1944) traduit par A. Laignel-Lavastine, pour les éditions Denoël.
Pour son caractère informatif et une première approche du délicat problème de l’héritage gênant des dossiers de la politique politique : La Roumanie 20 ans après: Le chasseur de la Securitate, aux éditions du Cygne, par Mirel Bran.
Et puis, pour la langue et l’exotisme, des contes : Contes de Roumanie : La Jeune fille qui portait malheur, par Ana Palanciuc, à L’Ecole des loisirs.
Enfin, le très bel album intitulé Napoléon III et les principautés roumaines aux éditions de la Réunion des Musées Nationaux.
J’ai vu aussi qu’aux éditions de la Martinière, Claire Veillère prépare pour janvier 2010 un nouvel album dans la collection Enfants d’ailleurs : Miruna, Cosmin et Marius vivent en Roumanie. Cela me rend très curieuse…

Bonne lecture!

La Chute du Mur et les intellectuels

La « victoire de la Mercedes sur la Trabant » et la leçon perdue de la dissidence

Entre anniversaire de la chute du Mur de Berlin et préparatifs de la commémoration de la révolution roumaine, il y a le choix, au rayon des rencontres et manifestations.

 

Samedi, j’ai choisi d’aller assister au colloque « L’Intellectuel dans l’espace public en Europe 1989 – 2009 » qui se tenait dans une salle du palais du Luxembourg. Du public, des intervenants intéressants et, malgré quelques couacs d’organisation, une journée très dense en informations.
J’ai d’abord eu la surprise agréable, bien qu’arrivant un peu en retard le matin et  ratant les premiers exposés, d’entendre mon ami Horia-Roman Patapievici, aujourd’hui directeur de l’Institut Culturel Roumain à Bucarest – dont l’amitié remonte à bien longtemps maintenant, puisqu’elle prend sa source dans les années 90 et s’est nourrie avec le temps d’une expérience particulière : la traduction d’un de ses premiers livres, Zbor în bataia săgeţii, sorte de livre culte, maintes fois réédité en Roumanie et qui retrace l’éducation intellectuelle d’un jeune homme (lui-même) dans les années 70-80 de la dictature roumaine.
Ce travail ardu, entrepris le soir après mes heures, durant la courte période où j’ai eu un job de bureau, puis dans la parenthèse temporelle de l’attente d’un enfant, bref, dans les circonstances d’un hors champs permanent, a constitué mon apprentissage de la traduction.

Et cette formation à la traduction -née d’un élan tout à fait nouveau pour moi à l’époque et provoqué par la passion éprouvée pour l’expérience décrite dans ce livre – s’est ainsi faite à travers un ouvrage dont le sujet même était celui de l’apprentissage de la rigueur intellectuelle, de l’érudition joyeuse, de l’amitié qui fertilise les esprits.

Ces cinq gros cahiers -je n’oublierai jamais le jour où je l’ai ai posés sur une table, au premier étage du Flore, devant un Horia Patapievici en visite à Paris, ébahi par mon entreprise-mériteraient que je me penche de nouveau sur eux, pour donner à ce beau texte sa forme finale, enfin, et le publier.

Rappeler ce que ce livre représente pour moi était essentiel dans ce post sur ce colloque, puisqu’il a été question, durant cette journée de débats, du rôle de l’intellectuel dans l’espace public.

Le constat premier est que si 1989 a pu faire croire dans un premier temps à l’avènement des principes moraux de la dissidence, cela n’a que rarement été le cas. Jacques Rupnik a souligné que le destin de cette « classe politique de rechange » élevée dans les interstices des dictatures avait été de laisser la place à une classe politique nouvelle -mais souvent décevante.

 

Les intellectuels ont peut-être raté la chance de réinventer la démocratie, mais cela était-il vraiment à leur portée ?

Jacques Rupnik a problématisé ce parcours de déception : « les intellectuels issus de la dissidence puis jetés dans une réflexion sur la modernité européenne semblent avoir oublié leur élan après 89. Ce qui s’est passé, pourrait-on dire, c’est qu’ils ont imité un modèle, le modèle ouest européen, certes ancien et très valable, mais c’était déjà un modèle en crise! »
Et de poursuivre « l’autre réponse serait de dire qu’ils ont été rapidement éclipsés parce qu’ils étaient incapables de s’adapter au jeu politique; ou bien parce que, dans la dissidence, ils n’ont toujours été qu’une minorité; après un bref moment d’innocence et d’unité, la dissidence se retrouvait dans un ghetto vertueux mais inefficace… »
C’est une analyse sombre mais, il faut s’en rendre compte, plutôt juste. L’idée a été bien discutée dans les rangs de l’assistance…
On doit à Horia Patapievici d’avoir donné en quelques phrases un portrait tellement évident de ce qui fait le fondement politique de l’Europe et se trouve même en deça des discours partisans. Des idées de base qui semblent pourtant effacées par la bipolarité gauche – droite en action depuis plus d’un siècle. D’où sa réflexion ironique «  a-t-on encore besoin de cette polarité ? ». Il a rappelé qu’on peut toujours s’amuser à calculer combien de renversements idéologiques ont affecté l’héritage de pensée de la gauche et de la droite…
Horia Patapievici répondait à une personne inquiète de savoir si « dans le contexte d’une vie politique roumaine très ambiguë où les notions de gauche et de droite sont floues, l’intellectuel ne courre pas un grand risque à espérer améliorer la situation en s’impliquant dans la gouvernance de son pays ? » « Ce sont « les risques de la vie même » a souligné Horia Patapievici. Et de donner comme exemple qu’au « 19ème siècle la gauche était nationaliste et impérialiste. La droite était, elle, anticapitaliste… »
« La droite que j’évoque est celle qui, dans le contexte des années 80, en Roumanie,  voulait dire État et individu placés sous l’égide de relations marquées par la prépondérance de l’individu sur l’État ; État modéré, avec séparation des pouvoirs ; soutien d’un ordre social découlant de la garantie de la propriété privée ; discours nationaliste dressé contre le discours mystique de la nation adopté par la gauche (le PCR, parti unique) ; en matière de religion, la droite voulait dire laïcité, certes pas à la mode française mais avec séparation de l’Église et de l’État ; on pouvait parler de religion sans forcément impliquer l’Église dans le débat politique. On peut aujourd’hui argumenter que ce sont des définitions qui sont celles de la grande tradition du Centre en Europe occidentale… Mais en Roumanie, dans le contexte d’opposition à un régime du socialisme réel, en pensant de cette façon on se trouvait, oui, à droite. »

 

Horia Patapievici et les autres intervenants auraient pu légitimement s’engouffrer dans une discussion sur la lustration et le poison libéré dans les sociétés par les dossiers des anciennes polices politiques – mais ce n’était pas le centre du débat.

J’ai apprécié le discours du polonais Ireneus Krzeminski (j’aurais aimé vous dire qui est ce monsieur mais le programme ne mentionne pas le titre ou la fonction des invités, et c’est très regrettable) qui a rappelé le rôle moteur, dans l’Europe des années 80, du mouvement Solidarnosc.

L’après-midi, Danielle Sallenave nous a donné envie de lire Jan Patocka, dont les Essais hérétiques et L’Europe après l’Europe sont publiés chez Verdier. L’écrivain  – seule femme invitée pour toute cette journée (mis à part Magda Carneci, qui fait partie des organisateurs) – a su dire avec clarté et concision, après avoir évoqué son expérience dans la Tchécoslovaquie de l’époque, combien ses voyages au pays du socialisme réel ont « été un salutaire apprentissage, pour ne pas dire une leçon ». Et de rajouter : « Je suis frappée par la leçon perdue de la dissidence : en 1989, je l’ai ressenti dès la chute du Mur de Berlin, quand une journaliste extasiée a fait cette réflexion ahurissante : c’est la victoire de la Mercedes sur la Trabant. La leçon de la dissidence semble s’être perdue ».

Danielle Sallenave a exprimé aussi un souhait : « que soit réveillée cette expérience de la culture qui a été celle de l’Est de l’Europe. »

Enfin, une citation du même Patocka est venu ponctuer sa réflexion: « Nous sommes arrivés à un état d’assoupissement, à un assouvissement : la conquête de la bonne vie n’est pas celle de la vie bonne. »

 

A méditer.